mars 1, 2021

Conseil exécutif de l’OMS, après une année marquée par la crise sanitaire de la COVID-19

Gargeya Telakapalli

Série « Au sein de l’ONU » > Conseil exécutif de l’OMS 148, Genève, du 18 au 26 janvier 2021


S’il fallait dresser une liste de réunions qui résument l’importance de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour la santé mondiale, tout en exposant les contradictions et les lacunes de l’OMS, la 148ème session du Conseil exécutif viendrait en tête. Organisé un an après que l’OMS ait déclaré, le 30 janvier 2020, que la Covid-19 était une « urgence de santé publique de portée internationale », cette 148ème session aurait pu être une étape importante pour orienter la distribution équitable des vaccins et autres technologies liées à la Covid-19, renforcer les systèmes de santé publique pour faire face à la pandémie et traiter les déterminants sociaux. L’année dernière a montré que les pays riches peuvent priver les nations les plus pauvres de vaccins vitaux en les achetant à un prix exorbitant pour leurs propres populations. Il s’agit d’une injustice et l’OMS aurait pu intervenir efficacement pour que l’expression « santé pour tous » ne reste pas un simple slogan.

Au-delà de la Covid-19, l’ordre du jour de ce Conseil exécutif (EB148) couvrait des questions de santé publique importantes telles que la préparation et la réponse aux urgences de santé publique, les sujets liés à l’accès aux médicaments, les déterminants sociaux de la santé, la sécurité des patients et la résistance aux antimicrobiens, pour n’en citer que quelques-unes. Cet article documente certaines discussions qui pourraient éclairer la politique et les débats de l’EB148, dans le contexte de la nécessité de défendre le rôle du multilatéralisme dans l’orientation de la riposte à la pandémie de la Covid-19.

Par Gargeya Telakapalli, WHO-Watch Team, People’s Health Movement.

Exterior of the headquarters of the World Health Organization (WHO) in Geneva, Switzerland. Photo : Polaris/laif

Gouvernance : les gouvernements se manifesteront-ils pour l’occasion ?

La pandémie de la Covid-19 a permis de rappeler la nécessité et l’importance de « l’OMS, en tant qu’autorité de direction et de coordination de la santé internationale au sein du système des Nations Unies » et les dangers qui pourraient résulter d’une éventuelle faiblesse du système de l’OMS et des Nations Unies. Cette prise de conscience fait suite au manque de solidarité entre les pays et à une économie de marché qui privilégie les profits au détriment de la santé des personnes, même en cas de pandémie. Les observations du Directeur général de l’OMS, le Dr Tedros, à l’ouverture de l’EB148, selon lesquelles « le monde est confronté à un échec moral catastrophique en ce qui concerne l’équité relative au vaccin contre la Covid-19 » ne sont qu’un faible reflet du chaos causé par la mise à l’écart de l’OMS et des processus multilatéraux. Le deuxième rapport du « Groupe d’experts indépendant sur la préparation et la riposte aux pandémies » fait preuve d’une semblable déception. Le panel est dirigé par Helen Clark, ancienne Première ministre de la Nouvelle-Zélande et Ellen Johnson Sirleaf, ancienne Présidente du Liberia.

Bien qu’il serait erroné de prétendre l’absence d’actions coordonnées, les efforts mondiaux ont été très insuffisants. Si l’OMS, en tant qu’organe du système des Nations Unies, avait été autorisée à tenir les commandes dans la riposte à la Covid-19, les résultats auraient pu être équitables et plus justes. Au lieu de cela, des plateformes multipartites telles que « The Access to COVID-19 Tools (ACT) Accelerator », communément appelé ACT-A, avec des représentants de sociétés transnationales et des philanthrocapitalistes, ont pris le relais et n’ont pas réussi à relever le défi. Le multipartenariat se distingue par son absence de redevabilité et de transparence et son penchant marqué pour les initiatives basées sur le marché. Par rapport aux efforts multilatéraux, le partenariat multi-acteurs, en raison de sa structuration et sa composition constituée de quelques pays ou organisations privées spécifiques, s’efforce à satisfaire les détenteurs du pouvoir et des ressources laissant ainsi les pays les plus pauvres et démunis de toute ressource à la merci des conséquences. Une argumentation détaillée sur les lacunes du partenariat multi-acteurs dans le contexte de la riposte à la Covid-19 peut être consultée dans le document « Covid19 Vaccine Governance : Sidelining Multilateralism » récemment publié par People’s Health Movement (PHM).

La bonne nouvelle de cette session du Conseil Exécutif est venue du fait que l’administration américaine de Joe Biden a décidé de se désolidariser de la position de l’administration précédente consistant à se retirer de l’OMS à partir de la mi-2021. Dans un geste symbolique, le Dr Anthony Fauci a représenté les États-Unis le troisième jour du Conseil exécutif et a communiqué les intentions de coopération accrue de la nouvelle administration. Il a également informé le Conseil exécutif de l’initiative visant à révoquer la régressive « règle du bâillon » selon laquelle les organisations non gouvernementales (ONG) étrangères recevant une aide du gouvernement américain ont interdiction de proposer des services d’avortement. Malgré ce discours jonché de bonnes intentions et la victoire morale qu’il représente pour l’OMS, les autres interventions des États-Unis et du Dr Fauci se sont déroulées tout naturellement, sans aucune référence ni soutien à la demande de plus de 100 pays pour une dérogation à l’Accord sur les ADPIC qui vise à alléger les barrières de propriété intellectuelle (PI) qui restreignent l’accès aux vaccins, aux médicaments et aux produits de santé contre la COVID-19. Il convient de déterminer, dans les prochains mois, si une différence de point de vue sera perceptible dans la position des États-Unis sur la santé des personnes au sein du système de l’OMS et des Nations Unies. En outre, la pandémie a dévoilé les faiblesses du modèle néo-libéral et des soins de santé privatisés défendus par les États-Unis, qu’il s’agisse d’une administration républicaine ou démocrate, et il n’est pas encore possible de déterminer clairement si Biden pourra se défaire de ces positions.

Les autres sujets importants ont porté sur le financement durable de l’OMS. Il est de notoriété publique qu’au fil des ans, l’OMS a été affaiblie par le manque de financement et a sans cesse lutté pour répondre aux besoins de ses pays membres. Le manque de financement de qualité, non conditionné, de la part des gouvernements, a contraint l’OMS à approcher et à collaborer avec divers philanthrocapitalistes et entreprises du secteur privé. Cela influence négativement le travail de l’OMS et porte atteinte à son autonomie. Un exemple de cette tendance inquiétante est l’importance excessive accordée, lors de l’EB148, à la nouvelle fondation privée chargée d’octroyer des subventions – la fondation de l’OMS – dans le cadre de la solution au déficit de financement. Cette approche pourrait même être problématique en soi, compte tenu du financement largement privé que la fondation espère obtenir, ce qui expose l’OMS à des conflits d’intérêts. Les pays membres doivent se montrer à la hauteur de la situation et libérer l’OMS de décennies d’étranglement, en augmentant les contributions fixées. Cela permettrait à l’OMS de travailler au mieux de ses capacités, sans dépendre du secteur privé.

Déterminants sociaux de la santé

L’EB148 a examiné les questions pertinentes relatives aux déterminants sociaux de la santé et a adopté une résolution qui engage les gouvernements et l’OMS à s’attaquer aux questions non médicales telles que les conditions sociales et économiques qui influencent les résultats en matière de santé. Les gouvernements ont noté qu’au cours de la dernière année, la pandémie de la Covid-19 a contribué à accroître la pauvreté, l’insécurité alimentaire, le chômage, les inégalités entre les sexes et a mis en évidence les effets de ces facteurs sociaux sur la santé des populations marginalisées. Madagascar, s’exprimant au nom de la région africaine, a indiqué qu’environ 40 millions d’Africains ont été poussés sous le seuil de pauvreté au cours de la dernière année. Certains pays ont fait remarquer que la situation dramatique de leur économie a un impact sur la capacité des gouvernements à répondre aux déterminants sociaux de la santé. Malgré ces discussions approfondies, il faudra encore vérifier si les gouvernements prennent en considération la nécessité de faire respecter les droits de l’Homme et les problèmes des populations marginalisées, telles que les migrants, dans la riposte à la pandémie de la Covid-19.

Accès aux médicaments et aux produits de santé

Dans chaque Conseil exécutif et Assemblée Mondiale de la Santé, les sujets relatifs à la disponibilité des médicaments et des produits de santé sont au centre des débats et des discussions. Cette fois, les principaux sujets abordés ont été le rapport de l’OMS sur l’élargissement de l’accès à des traitements efficaces contre les cancers et les maladies rares et orphelines (y compris la discussion sur la transparence), la stratégie et le plan d’action mondiaux pour la santé publique, l’innovation et la propriété intellectuelle (y compris une résolution sur la production locale). Les travaux du Conseil exécutif ont montré qu’un certain nombre de pays sont préoccupés par les coûts élevés des médicaments brevetés. En particulier, les droits de propriété intellectuelle posent des obstacles importants à l’innovation de nouveaux produits et à l’entrée de médicaments génériques sur le marché. Les discussions prennent également de l’ampleur dans le cadre de la demande à l’OMC d’une dérogation à certaines dispositions de l’Accord sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle liés au Commerce (ADPIC), dans le but de suspendre l’octroi ou l’application des brevets et autres droits de propriété intellectuelle liés aux médicaments, vaccins et autres produits médicaux contre la Covid-19 pendant la durée de la pandémie.

Une autre intervention importante a été la proposition de l’Éthiopie, soutenue par la Chine, Eswatini, le Ghana, le Kenya, la Namibie, le Rwanda, l’Afrique du Sud, le Soudan, le Togo et le Zimbabwe, de « renforcer la production locale de médicaments et d’autres technologies de santé pour en améliorer l’accès ». La proposition s’inscrit dans le cadre de la rupture mondiale des chaînes d’approvisionnement et de la nécessité pour les pays et les régions d’accroître leur capacité de fabrication afin de produire localement des médicaments, des vaccins et d’autres produits de santé et de favoriser l’autosuffisance. Ce serait également un moyen pour les pays d’éviter de débourser des sommes exorbitantes pour se procurer des médicaments et des produits de santé.

Standardisation de la nomenclature des dispositifs médicaux

L’initiative pour la standardisation de la nomenclature des dispositifs médicaux vise à disposer d’une classification, d’une codification et d’une nomenclature internationales pour les dispositifs médicaux (INMD). Cela était nécessaire, car il n’existe pas de nomenclature des dispositifs accessible au public qui soutienne l’harmonisation des efforts d’identification au niveau mondial. L’établissement d’une nomenclature standard contribuerait à rendre les dispositifs médicaux accessibles en permettant un référencement commun, en comprenant les normes, en aidant à l’utilisation et à l’achat rationnels, en créant des listes essentielles et en encourageant la production générique pour accroître l’accès.

L’élaboration d’une nomenclature des dispositifs médicaux standardisée au niveau mondial relève du rôle normatif de l’OMS. Un exemple est la Dénomination Commune Internationale (DCI) pour l’identification des substances pharmaceutiques. Comme la DCI, il s’agirait d’une intervention de santé publique qui contribuerait à la régulation d’un marché largement non réglementé.

Si les efforts actuels pour le succès de l’INMD aboutissent, ce serait un pas dans la bonne direction. Cependant, sur la base des suggestions de quelques pays lors de sa session 145, le Conseil exécutif a décidé de ne pas créer une nouvelle nomenclature, mais d’utiliser une nomenclature existante. À cet égard, l’OMS a pu s’approprier la Classification Nationale des Dispositifs (CND), qui a été adoptée par la Commission Européenne et va constituer la base de la Nomenclature Européenne des Dispositifs Médicaux, car elle est la plus proche de ses besoins et principes. La CND, comme les autres nomenclatures existantes, bénéficie de la participation de l’industrie. De nombreux pays ont exprimé leurs réserves sur divers aspects de la standardisation de la nomenclature lors de l’EB148. L’Allemagne a fait remarquer que la standardisation de la nomenclature est une fonction normative essentielle de l’OMS et ne peut être confiée à des organismes privés échappant au contrôle de l’OMS et des régulateurs. En outre, la position allemande a également souligné que « tout système de ce type devrait être conçu et régi par et pour des régulateurs plutôt que par des organismes privés dominés par l’industrie pour l’industrie ». Suite à l’absence de consensus, le Conseil exécutif a accepté d’organiser une consultation des États Membres dans les prochains jours.

Les implications de la mise en œuvre du protocole de Nagoya pour la santé publique

Le protocole de Nagoya est un accord complémentaire (adopté en 2010) à la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) de 1992. Le protocole vise à fournir un cadre pour l’un des trois principaux objectifs de la CDB, à savoir « le partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques ».

Dans le même esprit, l’OMS a adopté en 2010 un « Cadre de préparation en cas de grippe pandémique » (dit cadre PIP), pour définir les règles d’accès aux virus grippaux à potentiel pandémique (IVPP) et les obligations de partage des avantages des bénéficiaires des IVPP. Par exemple, les virus qui sévissent dans plusieurs pays sont utilisés par l’industrie pour développer des vaccins, des thérapies et des diagnostics. L’industrie serait alors tenue de fournir les prestations telles que les vaccins, les thérapies et les diagnostics aux pays qui en ont besoin. Le cadre PIP et son fonctionnement ont été largement considérés comme une réussite et un bon exemple de coopération internationale, sous la conduite de l’OMS.

Afin d’avancer et de mieux cerner les enjeux, en 2019, la 72ème Assemblée Mondiale de la Santé, avait demandé au secrétariat de l’OMS de lui fournir, lors de sa 74ème session et par le biais du Conseil exécutif (EB148), des informations complémentaires sur « les pratiques et dispositions actuelles en matière de partage des agents pathogènes, la mise en œuvre des mesures d’accès et de partage des avantages, ainsi que les résultats potentiels pour la santé publique et d’autres implications ». On aurait pu supposer que le secrétariat utilise alors ce mandat au maximum et présente des suggestions en faveur de l’extension de l’utilisation du protocole de Nagoya, afin que celui-ci soit plus utile aux politiques de santé publique. Or, que cela soit intentionnel ou non, le rapport du secrétariat était truffé d’incohérences (voir cette analyse du Third World Network pour une analyse approfondie). Cela peut être dû également au manque de réponses à l’enquête de l’OMS qui a servi de base à ce rapport, ou à une simple incompréhension du fait que le partage des agents pathogènes est une question de souveraineté nationale et doit conduire au partage des bénéfices. Le mécontentement suscité par le rapport s’est manifesté dans les déclarations de nombreux pays en développement. La région de l’Afrique a été jusqu’à ne pas soutenir les décisions du rapport, car elles affaiblissent la capacité des nations les plus pauvres à profiter des avantages du protocole de Nagoya. L’absence de consensus a été constatée au sein du Conseil exécutif et il a été recommandé d’organiser des consultations pour faire avancer les choses.

Chaque année, le People's Health Movement tient l’Initiative WHO-Watch pendant le Conseil exécutif et de l’Assemblée Mondiale de la Santé organisés par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Dans le cadre du programme, le PHM suit de près et intervient sur les questions de gouvernance mondiale de la santé. L’initiative WHO Watch menée par le PHM s’inscrit dans le cadre d’un travail plus vaste visant à démocratiser la gouvernance mondiale de la santé. Cet article est principalement basé sur le travail de l’équipe WHO-Watch pour le Conseil exécutif 148 qui était composée d’Aletha Wallace (Belgique), Alice Kuan (USA), Maria Giulia Loffreda (Royaume-Uni/Italie), Laura Nyiha (Kenya), Luciani Martins Ricardi (Brésil), Priyanka Gupta (Népal), Rajeev B R (Inde), Rhiannon Osborne (Royaume-Uni), Shriyuta Abhishek (Inde), Surbhi Shrivastava (Inde/États-Unis), Susana Barria (Inde) et Lauren Paremoer (Afrique du Sud).  
 
Pour une analyse plus approfondie des sujets et des déclarations présentés par le PHM à l’EB148, cliquez ici.