janvier 19, 2021

Conventions : Le grand écart

Matthias Reuß

Les États contribuent parfois à laisser certains dans un statut d’apatride. Le droit international a tenté de combler ces lacunes, mais moins de la moitié des pays dans le monde participe à ces eff orts.


Les droits et le statut des apatrides sont couverts principalement par deux conventions internationales : celle de 1954, relative au statut des apatrides, et celle de 1961, sur la réduction des cas d’apatridie. La Convention de 1954 défi nit une personne apatride comme n’étant pas «considérée comme un ressortissant par aucun État en vertu de sa législation ». L’apatridie est défi nie comme un statut juridique, lequel dépend des lois et des règlements adoptés par les États. La nationalité et l’apatridie sont donc deux concepts juridiques qui se refl ètent. Ce n’est pas la communauté internationale ou les Nations unies qui sont en mesure d’accorder une nationalité spécifi que à un individu ; seuls les États ont ce pouvoir. La défi nition implique également que c’est l’État, et non l’individu, qui octroie la nationalité à une personne.

Mais l’essentiel, c’est le fonctionnement réel d’une loi, pas seulement son contenu. Les autorités étatiques peuvent systématiquement appliquer une disposition particulière de leur législation sur la nationalité d’une manière qui diff ère du libellé de cette législation. Ils peuvent le faire en réalité pour des motifs de discrimination raciale, ethnique, religieuse ou politique. La pratique réelle doit ainsi être prise en compte pour déterminer le statut de nationalité d’une personne. De plus, l’expression «envisagée par un État » requiert une décision eff ective des fonctionnaires de l’État sur le statut de nationalité d’un individu avant que celui-ci ne puisse être qualifi é d’apatride.


Quarante-cinq États, la plupart en Asie,
n’ont encore signé aucun traité international
pour la protection des apatrides

Ceci constitue un rappel afi n de ne pas considérer chaque individu non enregistré ou sans papiers comme apatride. En fait, la grande majorité des personnes non enregistrées ou sans papiers sont des ressortissants d’un pays spécifi que, le plus souvent celui où ils sont nés. Ils peuvent être de nationalité indéterminée, peut-être menacés d’apatridie mais, légalement, ils ne sont considérés comme apatrides que lorsqu’un fonctionnaire leur a refusé la nationalité qu’ils demandent. Dans la mesure où la définition utilise la notion de nationalité, alors nationalité et citoyenneté deviennent synonymes. Ainsi, pour la Convention de 1954, les ressortissants sont citoyens.

Alors que la Convention de 1954 ne compte actuellement que 94 États signataires, nombre de ses dispositions fondamentales se sont inscrites dans le droit international coutumier. La définition du terme «apatride » peut donc être considérée comme juridiquement contraignante pour tous les États, qu’ils aient ou non adhéré à la Convention de 1954. Par ailleurs, celle-ci garantit certains droits de l’Homme aux apatrides : liberté de religion, accès aux tribunaux, droit au travail et accès à l’éducation publique.

Cependant, ces droits sont essentiellement interprétés comme des obligations de l’État et non comme des droits individuels acquis. En outre, le niveau de protection de la Convention de 1954 est souvent en deçà des droits internationaux de l’Homme accordés dans des traités ultérieurs, tels que les normes définies par les deux pactes internationaux de 1966 : sur les droits civils et politiques, sur les droits économiques, sociaux et culturels.

De plus, la Convention de 1954 conditionne certains droits à la légalité du séjour d’un apatride dans le pays. Néanmoins, elle demeure le seul texte qui prévoit universellement le statut des apatrides, en définit le sens juridique, garantit les droits humains fondamentaux des apatrides, oblige les États à la délivrance de papiers d’identité et de documents de voyage et prévoit la possibilité de leur naturalisation. À ce titre, cette convention a été déterminante dans la protection des apatrides.

Même si des textes internationaux relatifs aux droits de l’Homme, à commencer par la Déclaration universelle des droits de l’Homme, protègent le droit humain individuel à une nationalité, aucun d’entre eux n’est suffisamment concret, contraignant et opérationnel, pour énoncer l’obligation d’un État spécifique à accorder sa nationalité à une personne en particulier. Cette lacune juridique est comblée par la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie. En d’autres termes, cette convention définit les obligations des États d’accorder la nationalité.


Depuis 50 ans, l’accent n’a pas été mis sur
l’élaboration de nouveaux traités, mais sur l’application
des traités existants partout dans le monde

La Convention de 1961 part des principes fondamentaux selon lesquels un État devrait accorder sa nationalité à une personne née sur son territoire qui se retrouverait sans cela apatride ; et à une personne née hors de son territoire, si l’un de ses parents était un ressortissant de ce même État et que l’individu serait apatride sans l’octroi de cette nationalité. De même, les enfants abandonnés devraient acquérir la nationalité de l’État où ils se trouvent.

En outre, la Convention de 1961 vise à garantir qu’une perte ou un retrait de nationalité ne crée pas l’apatridie. En conséquence, un État ne doit pas priver une personne de sa nationalité si cette disposition devait la rendre apatride. Par exemple, le mariage ou tout changement de statut personnel ne peut entraîner la perte de la nationalité et le statut d’apatride. Le conjoint et les enfants ne peuvent être affectés par la perte de nationalité d’une personne que si elle ne la rend pas eux-mêmes apatrides. Enfin, et surtout, la privation de nationalité ne sera jamais fondée sur des motifs raciaux, ethniques, religieux ou politiques.

La Convention de 1961 totalise actuellement 75 États signataires. Bien que les adhésions ont augmenté ces dernières années, il reste encore un long chemin à parcourir vers un soutien universel. Cependant, même lorsqu’un État n’adhère pas à cette convention, le texte livre des recommandations faisant autorité sur la manière de respecter, protéger et installer, dans la pratique, le droit de chaque être humain à bénéficier d’une nationalité.

Cette contribution est autorisée sous la licence de droit d’auteur suivante : CC-BY 4.0

L’article a été publié dans l’Atlas des apatrides en français, anglais et allemand.