Partager Twitter Facebook Email Copy URL
Suisse: Le « Groupe pour une Suisse sans armée » est peut-être l’organisation de désarmement la plus performante d’Europe. L’organisation suisse a lancé des débats sur la politique de paix au cours des 40 dernières années.
Le 26 novembre 1989, le débat s’est soldé par un échec retentissant : 64,4 % des électeurs suisses ont dit « non » à une initiative populaire visant à abolir l’armée du pays. La révolution que le « Groupe pour une Suisse sans armée » (GSsA) voulait initier a été mise en veilleuse. Mais la votation a tout de même entraîné des changements politiques et sociaux fondamentaux dans le rôle de l’armée suisse.
Tout d’abord, plus d’un tiers des électeur-ice-s, soit plus d’un million de personnes, ont voté en faveur de l’initiative du GSsA – un choc pour le bloc conservateur de droite. Avant la votation, le Conseil Fédéral, le gouvernement suisse, a annoncé que la Suisse n’avait pas d’armée : elle était une armée. La votation de novembre 1989, qui fait suite à une campagne particulièrement émotionnelle, montre clairement que les jeunes considèrent l’armée non pas comme un modèle significatif, mais comme un mal nécessaire.
Malgré la défaite, la votation a donné lieu à toute une série de réformes. L’année suivante, les responsables politiques ont fait de la consolidation de la paix la nouvelle mission de l’armée, en plaçant de plus en plus au premier plan l’aide aux victimes de catastrophes domestiques. Les effectifs militaires ont fortement diminué, passant de 780 000 en 1990 à 426 000 en 1995 ; ils sont aujourd’hui de 150 000. Entre 1968 et 1996, quelque 12 000 jeunes hommes ont été emprisonnés pour avoir refusé de faire leur service militaire. Cette pratique a sensiblement diminué après 1989 ; en 1996, les jeunes hommes ont été autorisés à effectuer des travaux d’intérêt général au lieu de s’enrôler dans l’armée. En outre, depuis 1989, un passage dans l’armée n’est plus une condition préalable à une carrière professionnelle.
L’initiative d’abolition de 1989 a certainement laissé des traces en Suisse. Mais l’effondrement de l’Union soviétique a eu une influence bien plus dramatique sur la politique de sécurité du pays et sur la composition de son armée. Les changements fondamentaux de la situation militaire et géopolitique en Europe qui en ont découlé ont également eu un impact.
Le GSsA est organisé sur une base démocratique populaire et est financé par des dons. Il se distingue par sa stabilité. Le nombre de ses membres se maintient depuis des années autour de 20 000. Au cours de ses quatre décennies d’existence, il a soumis au vote sept initiatives populaires (ses propres initiatives, qui requièrent la collecte de 100 000 signatures de citoyen-ne-s) et deux référendums (sur des lois, qui requièrent 50 000 signatures).
Le GSsA fait un usage stratégique de ces deux mécanismes de démocratie directe – une spécialité suisse. La collecte de signatures et les campagnes de vote mobilisent des soutiens, attirent l’attention des médias et suscitent des débats politiques. Le GSsA ne se contente pas d’œuvrer à la réalisation de son objectif initial, à savoir l’abolition de l’armée, mais s’efforce également de promouvoir des politiques de désarmement. Son objectif est de renforcer le contrôle des exportations d’armes, voire d’y mettre un terme. Il veut interdire aux investisseurs publics d’investir dans des entreprises d’armement. En 1993, une initiative visant à empêcher l’acquisition de 34 avions de chasse américains F/A-18 Hornet a échoué, mais un référendum organisé en 2014 contre l’achat de 22 nouveaux chasseurs Gripen à la Suède a connu un succès retentissant. En 2023, une assemblée générale du GSsA a décidé de lancer une initiative pour obliger la Suisse à signer le traité sur l’interdiction des armes nucléaires.
Il existe depuis longtemps une coopération étroite sur certains sujets entre le GSsA et les deux principaux partis politiques critiques à l’égard de l’armée, les Socialistes et les Verts. Il n’est pas rare que des hommes et femmes politiques commencent leur carrière par une collaboration avec le GSsA. Les deux exemples les plus connus sont Jo Lang (Verts) et Andreas Gross (Socialistes). Tous deux ont été actifs au sein du GSsA dans les années 1980 et sont devenus par la suite des figures influentes de la politique suisse.
Mais il y a aussi des défis à relever. À la fin des années 1990, la mission de l’OTAN au Kosovo a divisé le GSsA. En 2001, une deuxième initiative visant à supprimer l’armée n’a recueilli que 22 % de votes favorables, beaucoup considérant cette initiative comme une ligne de conduite obstinée. La situation actuelle, avec la guerre de la Russie contre l’Ukraine, n’est pas facile. Le GSsA a jusqu’à présent rejeté l’idée d’un soutien militaire de la Suisse à l’Ukraine, mais critique le rôle de la Suisse en tant que centre financier et plaque tournante des matières premières, qui permet à la Russie de réaliser des profits financiers destinés à alimenter son économie de guerre.
La gauche rejette l’adhésion à l’OTAN, en particulier le GSsA, mais aussi les Verts. Les Socialistes ne sont pas tout à fait catégoriques sur cette question. Le parti ayant obtenu le plus grand nombre de voix, l’Union Démocratique du Centre, parti nationaliste de droite, affirme même que la Suisse peut et doit être en mesure de se défendre seule. Il n’y a donc pas de majorité en faveur de l’adhésion à l’alliance. Les sondages indiquent qu’une telle adhésion à l’OTAN serait également impopulaire au sein de la population. La neutralité est une longue tradition en Suisse et est appréciée de toutes et tous ; l’adhésion à l’OTAN constituerait une rupture avec l’idéologie nationale
Néanmoins, un rapprochement est en cours : l’achat de 36 avions de combat F-35 pour six milliards de francs suisses en est un signe. Ces avions ont été choisis parce que leurs systèmes sont compatibles avec ceux de l’OTAN.
Jan Jirát est journaliste pour WOZ, Die Wochenzeitung.