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Le 22 avril, Journée de la Terre, le président américain Joe Biden a convoqué un sommet sur la crise climatique avec les dirigeants de plusieurs grands pays. Alors qu’il s’agissait d’une tentative pour ramener les États-Unis dans le jeu multilatéral sur la crise climatique et de jouer un rôle actif pour relever un défi mondial, l’hypocrisie de cette initiative n’a pas échappé au grand public. Au moment de la tenue de ce sommet, 223,6 millions de doses de vaccin avaient été fournies, permettant de vacciner 35,2% de la population des États-Unis. Tandis qu’à l’opposé, le Nigeria, avec une population de 201 millions d’habitants n’a eu que 1,2 million de personnes vaccinées. L’administration Biden ne peut pas demander au monde d’agir collectivement sur la crise climatique alors qu’elle ne parvient pas à garantir que la propriété intellectuelle sur les vaccins est également accessible aux pays du Sud.
Les États-Unis ne sont pas les seuls à privilégier la vaccination de leur population et à défendre les profits des sociétés pharmaceutiques. Le Royaume-Uni a également stocké 400 millions de vaccins, à savoir 6 doses pour presque chaque personne vivant dans le pays, soit une population de 67,61 millions d’habitants. Tout comme les États-Unis, le Royaume-Uni refuse également l’idée d’une dérogation aux accords de l’OMC sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), dérogation qui permettrait de garantir le transfert de la propriété intellectuelle et des savoir-faire en matière vaccinale aux pays du Sud, afin de lancer la fabrication en vue d’obtenir des vaccins efficaces et sûrs pour tous. Les principaux pays occidentaux tournent délibérément le dos à toute tentative de résolution d’un problème qui représente un défi commun.
Pour la Russie et la Chine, la crise de la Covid-19 sert à renforcer leur légitimité politique à travers leurs actions diplomatiques en faveur des vaccins. Ces pays souhaitent également partager une propriété intellectuelle avec les pays du Sud, mais ne se sont pas engagés publiquement à rendre leurs vaccins “open source”. La Chine prévoit de faire bénéficier plusieurs pays africains de son vaccin Sinopharm. Cependant, jusqu’à présent, aucun pays africain n’a déployé de campagne de vaccination sérieuse. Fin décembre 2020, Oxfam a estimé que seulement 70 pays pauvres pourront vacciner un dixième de leurs habitants en 2021. En Afrique, 25% des vaccins fournis seront couverts par le dispositif COVAX, 11% par l’Union africaine, alors que la grande majorité (64%) ne bénéficieront d’aucune vaccination au cours de cette année. Il s’agit d’un véritable apartheid vaccinal en Afrique, reflétant la crise morale et politique de ces disparités.
Dans le même temps, les principales sociétés pharmaceutiques avertissent l’administration américaine que la dérogation à l’application des brevets entraînera le transfert de la technologie de l’ARNm sensible à la Russie et à la Chine. Cet argument ne fait que pérenniser le jeu géopolitique consistant à protéger les profits de l’industrie pharmaceutique. De plus, si les États-Unis s’engagent à un juste rétablissement après la Covid-19 pour le monde entier, ils doivent prendre au sérieux la dérogation ADPIC au sein de l’OMC. Jusqu’ici, Katherine Tai, principale conseillère commerciale de Joe Biden, a fortement rappelé aux sociétés pharmaceutiques et à l’OMC que leur première priorité était de « sauver des vies » et que les États-Unis se penchaient sérieusement sur l’encouragement à favoriser la production et la distribution équitable de vaccins. Cependant, cette rhétorique ne s’est pas traduite par une réelle garantie de dérogation aux ADPIC.
C’est dans ce contexte que les victoires des luttes contre le VIH / SIDA pour obtenir une dérogation aux ADPIC sont cruciales pour la société civile progressiste. Les activistes et les mouvements en Inde, au Brésil et en Afrique du Sud ont obtenu cette avancée majeure dans le contexte de la lutte contre le VIH / SIDA afin de produire des médicaments génériques essentiels. Cela rejoint les nombreuses initiatives appelant à la justice vaccinale : demande d’un « vaccin pour tous » (#peoplesvaccine), demande par d’anciens leaders politiques et prix Nobel aux États-Unis d’abandonner la propriété intellectuelle sur les vaccins Covid-19, le soutien par Bernie Sanders d’une pétition mondiale avec plus de 2 millions de signatures pour exiger une dérogation aux ADPIC, sans compter l’initiative des Africains eux-mêmes.
Le 14 mars 2021, les Fédérations syndicales internationales, les principaux mouvements transnationaux, comme La Via Campesina, les mouvements africains, tels que WOMIN, l’Alliance pour la Souveraineté alimentaire en Afrique, et toutes les forces de la société civile progressiste en Afrique du Sud ont décidé de se réunir en Assemblée mondiale (Stand With Africa/Safe and Effective Vaccines for All/Healthcare and Frontline Workers of the World Unite). Cette assemblée a affirmé la nécessité d’une solidarité mondiale pour obtenir un « vaccin pour tous » (#peoplesvaccine) sûr et efficace pour que le monde entier se mobilise en soutien à l’Afrique. Garantir des soins de santé publique est en effet fondamental pour remédier efficacement à la pandémie et instaurer une approche internationale reposant sur une éthique du soin des travailleurs de la santé et des autres travailleurs en première ligne.
Nous partageons une humanité commune, un défi mondial commun et par conséquent nous devons nous unir. Cette lutte doit dépasser les frontières de nos communautés, de nos lieux de travail et nos agissements. Les résultats de cette Assemblée mondiale ont été partagés avec les leaders des pays riches, l’OMS et l’OMC. Cette dernière organisation a répondu en reconnaissant l’appel de l’Assemblée mondiale. Elle a également confirmé que des concertations à haut niveau ont lieu au sein de l’OMC quant au besoin d’une dérogation aux ADPIC pour les vaccins de la COVID-19. Cependant cette décision n’a toujours pas été prise, et par conséquent la lutte continue.
Le pouvoir des peuples reste la seule manière de surmonter la géopolitique de l’apartheid vaccinal. Il en a été de même dans la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, résistance de masse et solidarité internationale ont fonctionné efficacement ensemble. Si nous réussissons à vaincre l’apartheid vaccinal, de nombreuses vies seront sauvées et la « fin de la pandémie » sera une réalité pour tous. De plus, une défaite des grandes sociétés pharmaceutiques fournirait un élan pour approfondir les solutions mondiales de transformation face à l’aggravation de la crise climatique. Un réel élan s’impose pour un changement radical du monde, en faveur de la conservation de la terre et non d’un capitalisme avide de carbone. Les syndicats ont un rôle fondamental à jouer pour la mise en place d’un « vaccin pour tous » (#peoplesvaccine) sûr et efficace, mais également pour une justice climatique. Nous sommes face à ce grand défi, et l’opportunité pour le relever est là.
Vishwas Satgar est professeur associé en relations internationales et chercheur principal pour les Emancipatory Futures Studies in the Anthropocene (Études futures émancipatrices dans l’Anthropocène) à l’Université du Witwatersrand, Johannesburg, Afrique du Sud. Ancien activiste, il a publié la série « Marxisme démocratique ». Il préside le conseil du Cooperative and Policy Alternative Centre (Centre alternatif de politique et coopératif) et est co-fondateur de la South African Food Sovereignty Campaign and the Climate Justice Charter process (Campagne de Souveraineté alimentaire de l’Afrique du Sud et du processus de la Charte de Justice climatique). Récemment, il a également co-organisé l’Assemblée mondiale (Stand With Africa/Safe and Effective Vaccines for All/Healthcare and Frontline Workers of the World Unite).