octobre 6, 2022

Les circuits alimentaires africains implosent : répercussions de la guerre en Ukraine

Refiloe Joala et Jan Urhahn

Recommandations de politiques pour inverser la tendance


Les circuits alimentaires africains sont en train d’imploser sous le poids de la hausse des prix provoquée par la guerre en Ukraine et ses répercussions sur le commerce, les prix des produits de première nécessité et les marchés financiers. Les pays d’Afrique subissent le contrecoup de la guerre en Ukraine via trois principaux canaux. Ce sont : 1) des prix de l’alimentation plus élevés en raison de la hausse des prix des produits de première nécessité et de la spéculation ; 2) la dépendance aux importations de l’Afrique dans un contexte de système privé de stockage des céréales opaque, et de réserves alimentaires publiques insuffisantes ; et 3) la hausse du prix des engrais avec en toile de fond un modèle d’agriculture dépendant des énergies fossiles. Selon la CNUCED, 25 pays africains dépendaient de la Russie et de l’Ukraine pour 30% au moins de leur blé, quand 16 de ces 25 pays importaient 50% de leur blé de Russie ou d’Ukraine. La Russie fournit à la planète 12,7% de son phosphate et 15,5% de son azote, sous forme d’urée. Plus de 30 pays africains importent des engrais azotés, potassiques et phosphatés de Russie et du Bélarus.

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Briser la dépendance structurelle

La guerre en Ukraine jette une lumière crue sur la fragilité des circuits alimentaires de l’Afrique, lesquels sont de plus en plus détenus par des sociétés privées à qui ils ont été abandonnés pendant la pandémie de COVID-19. Dans les pays du sud et de l’est de l’Afrique par exemple, des circuits alimentaires basés sur le maïs et se caractérisant par un système d’agriculture intensive ont engendré, pour assurer la sécurité alimentaire, une dépendance considérable aux importations alimentaires, rendant ces pays africains particulièrement vulnérables aux crises extérieures des prix sur les produits alimentaires.

Dans le sillage de la crise alimentaire provoquée par le COVID-19 sur le continent africain et associée aux crises climatiques, l’inflation galopante sur les produits alimentaires engendre une plus grande pauvreté encore parmi les populations pauvres. En Afrique, le taux de pauvreté a atteint 39% pendant la pandémie de COVID-19. Les gouvernements africains mobilisent les ressources pour protéger les populations les plus vulnérables de leurs pays, de la hausse vertigineuse des coûts de la vie. Cependant, à court ou à moyen terme, des politiques structurelles sont nécessaires pour remédier à la vulnérabilité inhérente aux circuits alimentaires actuels, et trouver la voie vers des circuits alimentaires plus résilients et plus durables.

À l’occasion de la 50ème session du Comité de la Sécurité alimentaire mondiale (CSA), qui se tiendra du 10 au 13 octobre 2022 à Rome en Italie, le bureau régional Rosa-Luxemburg-Stiftung pour l’Afrique méridionale et le bureau de Genève publient ce rapport sur la situation des circuits agroalimentaires africains face à la crise actuelle des prix de l’alimentation, dont il ressort clairement le besoin d’un discours politique plus réfléchi, pour une véritable transformation. Le CSA doit mener la bataille pour inverser la tendance et remettre les circuits alimentaires aux mains des populations qui cultivent la terre, qui pêchent, qui produisent la nourriture, ainsi qu’aux consommateurs.

Recommandations d’interventions à court-terme :

  • Allègement de la dette et annulation de la dette pour les pays lourdement endettés et importateurs de produits alimentaires
  • Renforcement des systèmes de protection sociale et des aides
  • Constitution de réserves alimentaires nationales et régionales.

Recommandations d’interventions à moyen-terme qui apportent des réponses structurelles :

  • Élargir et diversifier la production d’aliments de base pour renforcer les chaînes d’approvisionnement nationales et infranationales
  • Légiférer sur les prix de l’alimentaire et mettre en place le plafonnement des prix pour les aliments de base, et juguler également la spéculation sur les produits alimentaires
  • Diminuer la dépendance aux énergies fossiles en mettant progressivement un terme à une agriculture reposant sur l’utilisation de produits phytosanitaires et de semis industriels qui encouragent la monoculture.
À propos des auteur.e.s 

Refiloe Joala est responsable du programme de Souveraineté alimentaire au sein du bureau régional Rosa-Luxemburg-Stiftung pour l’Afrique méridionale, en Afrique du Sud. Elle s’intéresse tout particulièrement à la nature et aux conséquences d’un changement de systèmes agroalimentaires, dans un contexte de mainmise grandissante des sociétés privées en Afrique méridionale, elle travaille également sur la souveraineté sur les semis et sur les droits des agriculteurs dans la région.
Jan Urhahn coordonne le Programme de souveraineté alimentaire de Rosa-Luxemburg-Stiftung à Johannesburg, en Afrique du Sud. Il travaille principalement sur des sujets tels que les droits des agriculteurs, les effets des pesticides dangereux, la propriété des semis, et les principes de Révolution Verte confrontés à des alternatives viables telles que l’agroécologie.