mars 10, 2021

Margrith Bigler-Eggenberger, première femme juge fédéral en Suisse

Elisabeth Joris

Engagement en faveur des droits de l’homme, de l’égalité des sexes, de la justice et de la protection sociale


En 1972, un an seulement après l’introduction du suffrage féminin en Suisse, le Parlement fédéral a élu à une courte majorité Margrith Bigler-Eggenberger, une avocate née en 1933 dans le canton de Saint-Gall, comme première juge suppléante et deux ans plus tard comme première juge titulaire au Tribunal fédéral de Lausanne. Ses accomplissements au cours de son long mandat à la Cour fédérale témoignent de son engagement au service des droits de l’homme, de l’égalité des sexes, de la justice et de la protection sociale des personnes les plus vulnérables. Cet engagement a été façonné par ses expériences de vie.


Portrait of Margrith Bigler-Eggenberger  sitting at her office desk
Margrith Bigler-Eggenberger dans son appartement de St. Gallen, Switzerland, le 10 Septembre 2019. Margrith Bigler-Eggenbergerfut élue première femme juge fédéral en Suisse en 1974. Photo: KEYSTONE/Christian Beutler

En effet, née en 1933 dans un environnement industriel, Margrith Eggenberger a été confrontée très tôt à la pauvreté qui caractérise de nombreuses familles ouvrières. Ses parents étaient des membres engagés du parti social-démocrate. Pendant la guerre, les réfugiés étaient accueillis dans la maison familiale. Des années plus tard, devenue juriste, elle a épousé l’historien d’origine allemande Kurt Bigler (né à Bergheim), qui avait réussi à s’échapper d’un camp de concentration et à traverser la frontière suisse alors qu’il n’était qu’un adolescent.

En tant que juge suppléante, sa première affaire a été le recours de droit constitutionnel formé par des prostituées zurichoises contre la décision de la ville de Zurich de les expulser vers une zone industrielle. Avec l’argument selon lequel la liberté des échanges et du commerce s’applique aussi aux « prostituées » elle a convaincu ses collègues juges. Ainsi, la prostitution a été définie comme une activité professionnelle par la plus haute autorité en Suisse. En tant que juge titulaire, elle a été transférée au département de droit civil contre sa volonté. Parce que ses arguments justifiaient des jugements d’une importance capitale en faveur des femmes, elle y a obtenu un succès à long terme. Ainsi, grâce à une décision qu’elle a fortement influencée, le salaire horaire calculé pour les tâches ménagères peut légitimer des demandes d’indemnisation. Margrith Bigler-Eggenberger a également réussi à faire en sorte que la Cour fédérale prenne en compte la nécessité d’une sécurité sociale pour les femmes sans emploi dans les affaires de divorce, ce qui a ensuite été clairement réglementé par la nouvelle loi sur le divorce. L’un des moments forts de sa carrière a été le premier procès sur l’égalité des salaires en Suisse en 1977, quatre ans avant l’introduction de l’article sur l’égalité dans la constitution. Une enseignante neuchâteloise a déposé un recours de droit public pour discrimination salariale et le Tribunal fédéral lui a donné raison. Sur la base de ses expériences, Margrith Bigler-Eggenberger, dans son ouvrage Justitias Waage – wagemutige Justitia?, souhaite voir, contrairement à la norme, une « Justitia vigilante », qui ne ferme pas les yeux sur la réalité de l’inégalité de fait malgré l’égalité formelle.

Elisabeth Joris est une historienne suisse, professeur à Zürich. Elle a édité plusieurs ouvrages sur l'histoire des femmes et des genres en Suisse et a été co-éditrice du magazine féministe Olympe. En 1986, elle a publié Frauengeschichte(n), un ouvrage de référence pionnier sur l'histoire des femmes en Suisse, aux côtés de Heidi Witzig.
Article initialement publié dans Denise Schmid (Hg.) : Jeder Frau ihre Stimme. 50 Jahre Schweizer Frauengeschichte 1971-2021, Zürich 2020.Publié ici avec l’aimable autorisation de son auteur.