octobre 31, 2021

Notre maison commune, la planète Terre, est « en feu »

Roberta Boscolo

À l’approche de la Conférence annuelle des Nations unies sur le changement climatique, qui célèbre cette année sa 26e édition à Glasgow (Royaume-Uni), les attentes se font plus pressantes quant à l’issue des négociations menées entre les 197 États réunis pour résoudre le problème écologique le plus délicat auquel est confrontée l’humanité : le changement climatique.


Les négociateurs représentant les parties à la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC) s’apprêtent à soumettre des objectifs de réduction des émissions pour 2030 dans le but de limiter le réchauffement climatique à un chiffre très inférieur au seuil d’augmentation de 2°C par rapport au niveau des températures préindustrielles, et ce faisant, de stabiliser l’élévation des températures à 1,5°C par rapport à ce même niveau d’ici la fin du siècle.

Si la liste des preuves physiques du réchauffement climatique actuel est longue, ses impacts sur les économies et les sociétés s’annoncent dévastateurs. Nombreuses sont les agences spécialisées de l’ONU, et notamment l’Organisation météorologique mondiale (OMM), à publier des rapports annuels sur les données scientifiques climatiques les plus récentes en vue de rappeler la teneur des enjeux aux négociateurs climatiques et aux dirigeants mondiaux.

L’état physique actuel du climat et l’évaluation des futurs climatiques

Alors même que la pandémie mondiale de Covid-19 avait abouti à une réduction de 6-7 % de la concentration de dioxyde de carbone (CO2) anthropique dans l’atmosphère, la concentration moyenne de CO2 au cours du premier semestre 2021 est tout simplement parvenue à son plus haut niveau au cours des 800 000 dernières années. Le CO2, le méthane (CH4) et l’oxyde nitreux (N2O) sont les principaux gaz à effet de serre (GES) responsables du piégeage du rayonnement infrarouge à proximité de la surface de la Terre, et ce faisant, contribuent à réchauffer la planète. La progression observée depuis 1750 dans les concentrations de GES à mélange homogène dans l’atmosphère est occasionnée par les activités humaines, au premier rang desquelles la combustion de combustibles fossiles, l’occupation des sols et d’autres activités[1].


Figure 1. Fraction molaire moyenne mensuelle de CO2 en ppm à l’observatoire de Mauna Loa entre mars 1958 et septembre 2021. Source : https://gml.noaa.gov/ccgg/trends/

La température moyenne globale enregistrée entre 2017 et 2021 est la plus chaude par rapport à n’importe quelle période pour laquelle des mesures sont disponibles. Le réchauffement relevé de 1850 à 1900 est d’ environ 1,15°C, et la meilleure estimation du réchauffement anthropique total s’établit à 1,07°C. Même si nous savons que la température a évolué tout au long de l’histoire de la Terre grâce à l’observation d’une grande variété de preuves géologiques, l’ampleur du réchauffement récent est sans précédent à l’échelle de plusieurs siècles ou millénaires[2]. Quatre grands constats ont été identifiés :

  • Le réchauffement est presque universel : la tendance est plus uniforme que les fluctuations de températures décennales ou centennales passées.
  • Le réchauffement est rapide : le rythme de réchauffement mesuré ces 50 dernières années dépasse celui de n’importe quel autre demi-siècle depuis les deux derniers millénaires.
  • Le récent réchauffement a inversé une tendance au refroidissement à long terme qui a débuté il y a 6 500 ans.
  • La température de la dernière décennie dépasse celle de la période chaude pluriséculaire la plus récente, qui date d’environ 6 500 ans. La période chaude la plus récente remonte à environ 125 ans.

Les preuves se multiplient que le réchauffement anthropique influe sur de nombreux extrêmes météorologiques et climatiques dans chaque région du globe. Un large éventail d’indicateurs prouve aujourd’hui que nous assistons à une évolution rapide de multiples aspects de notre climat planétaire :

  • Les glaces de l’océan Arctique connaissent un déclin à long terme depuis le début de l’ère des satellites (1979 à aujourd’hui).En septembre 2020, leur étendue est tombée à sa deuxième valeur la plus faible enregistrée à ce jour. La surface et l’épaisseur de la banquise arctique ont par ailleurs fortement chuté au cours des trois années suivant 2015. Quant aux calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique, elles rétrécissent tout comme la grande majorité des glaciers du globe.
  • Le niveau moyen des mers du globe a augmenté de 20 cm entre 1900 et 2018, sachant que le rythme de progression s’est accéléré pour passer à 3,7 mm/an de 2006 à 2018. Le réchauffement climatique occasionne la dilatation thermique de l’eau océanique et la fonte des glaces terrestres. Le rythme de perte des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique a augmenté d’un facteur de quatre entre 1992-1999 et 2010-2019, pour constituer la première source d’élévation du niveau des mers.
  • Les chaleurs extrêmes (notamment les canicules) deviennent plus fréquentes et plus intenses sur la plupart des terres émergées depuis les années 1950, tandis que les froids extrêmes (notamment les vagues de froid) deviennent moins fréquents et moins sévères. Les vagues de chaleur océaniques ont presque doublé de fréquence depuis les années 1980.
  • La fréquence et l’intensité des épisodes de fortes précipitations se sont accrues depuis les années 1950 sur la majorité des surfaces émergées pour lesquelles les données d’observation suffisent à mener une analyse tendancielle. Les sécheresses agricoles et écologiques se sont aggravées à cause de l’augmentation de l’évaporation du sol.
  • La proportion des cyclones tropicaux majeurs (catégories 3 à 5) a progressé au cours des quatre dernières décennies, et la latitude à laquelle les cyclones tropicaux du Pacifique Nord occidental atteignent leur intensité maximale s’est déplacée vers le nord.
  • L’influence humaine a probablement augmenté le risque d’événements extrêmes combinés depuis les années 1950. Ceci inclut l’augmentation de la fréquence des canicules et sécheresses concomitantes à l’échelle globale, les conditions météorologiques propices aux incendies dans certaines régions habitées, et les inondations simultanées en plusieurs lieux.

Les prévisions à court terme, pour les cinq années à venir (2021-2025), indiquent une forte probabilité que la température globale moyenne soit supérieure de 0,9 à 1,8°C aux conditions préindustrielles, assortie d’un risque de 40 % qu’au moins une année dépasse le seuil de +1,5°C par rapport au niveau préindustriel. Notons que cela ne signifie pas que nous manquions l’objectif de 1,5°C fixé par l’Accord de Paris, lequel renvoie à la condition climatologique sur une moyenne de long terme. Ce paramètre révèle en revanche la probabilité croissante d’un dépassement temporaire du seuil de température de +1,5°C, qui est d’autant plus susceptible de se produire que le climat de la Terre se rapproche de l’objectif de température défini par l’Accord de Paris.

Axés sur les futurs climatiques, les propos introductifs du dernier rapport d’évaluation du GIEC contiennent plusieurs motifs d’inquiétude :

  • La température de la surface du globe va continuer à augmenter au moins jusqu’au milieu du siècle dans tous les scénarios d’émissions. Un réchauffement climatique de 1,5oC et 2oC sera dépassé pendant le 21e siècle, sauf réduction massive des émissions de CO2 et d’autres gaz à effet de serre dans les décennies à venir.
  • De nombreux changements du système climatique vont se renforcer en relation directe avec l’aggravation du réchauffement général. Parmi ces changements figurent l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des chaleurs extrêmes, les vagues de chaleur océaniques, les fortes précipitations, les sécheresses agricoles et écologiques dans certaines régions, et la proportion de cyclones tropicaux intenses, ainsi que la réduction de la banquise, de la couverture neigeuse et du pergélisol en Arctique.
  • La poursuite du réchauffement climatique devrait encore intensifier le cycle mondial de l’eau, et notamment sa variabilité, les précipitations globales de mousson et la gravité des événements humides et secs. Dans les scénarios prévoyant un accroissement des émissions de CO2, les puits de carbone océaniques et terrestres devraient être moins efficaces pour ralentir l’accumulation de CO2 dans l’atmosphère.
  • De nombreux changements dus aux émissions de gaz à effet de serre passées et futures sont irréversibles pour des siècles, voire des millénaires, en particulier ceux concernant les océans, les calottes glaciaires et le niveau global des mers.
  • Du point de vue des sciences physiques, la limitation du réchauffement climatique anthropique à un niveau donné exige de réduire les émissions cumulées de CO2 en les ramenant au moins à des émissions nettes nulles, ainsi que d’abaisser fortement les émissions d’autres gaz à effet de serre. La réduction forte, rapide et prolongée des émissions de méthane limiterait également l’effet de réchauffement en faisant reculer la pollution par les aérosols et améliorerait la qualité de l’air.

Les impacts socioéconomiques du changement climatique

Toutes les preuves disponibles, notamment la compréhension physique, les observations météorologiques, ainsi que les différents modèles climatiques régionaux, laissent peu de doute sur le fait que le changement climatique anthropique augmente la probabilité de survenance et l’intensité d’un événement, et que de telles modifications se maintiendront dans un climat en réchauffement rapide. Avec le changement climatique futur, ces événements se produiront plus fréquemment.

Publié par l’OMM, le récent Atlas de la mortalité et des pertes économiques dues aux phénomènes météorologiques, climatiques et hydrologiques extrêmes[3] montre que, sur les 22 326 catastrophes enregistrées dans le monde entre 1970 et 2019, plus de 11 000 ont été attribuées à des risques météorologiques, climatiques et hydrologiques. Ces catastrophes ont occasionné 2,06 millions de décès et 3 640 milliards de dollars de pertes. Quelque 44 % des catastrophes ont été associées aux inondations (inondations fluviales : 24 %, inondations généralisées : 14 %) et 17 % aux cyclones tropicaux. Les cyclones tropicaux et les sécheresses, comptant respectivement pour 38 % et 34 % des décès liés aux catastrophes, ont été les risques les plus courants pour ce qui concerne les pertes humaines. S’agissant des pertes économiques, 38 % ont été associées aux cyclones tropicaux, alors que les différentes catégories d’inondations représentent 31 % du total, 20 % pour les inondations fluviales, 8 % pour les inondations généralisées, et 3 % pour les crues subites (OMM, 2021). Bien que le nombre de catastrophes relevé ait progressé d’un facteur de cinq au cours de la période, celui de décès a quant à lui été divisé par près de trois. Cela s’explique, en partie, par le perfectionnement des systèmes d’alerte précoce multirisque, qui améliorent la prévention, la préparation et l’intervention.


Figure 2. Répartition des catastrophes dans le monde au cours de la période 1970-2019 (OMM, 2021)

Sur la totalité des décès, 91 % se sont produits dans les économies en développement, d’après la classification des pays retenue par les Nations unies. La proportion s’avère comparable dans la classification nationale de la Banque mondiale, selon laquelle 82 % des décès ont été constatés dans les pays à revenu faible ou moyen. Les deux méthodologies de classification économique (Nations unies et Banque mondiale) révèlent chacune que la majorité des décès découlant d’extrêmes météorologiques, climatiques et hydrologiques sont survenus dans les pays en développement, tandis que ce sont les pays à économie développée qui ont subi la majorité des pertes économiques.

Il est par ailleurs important de bien comprendre le lien entre le changement climatique et l’Agenda 2030, bien au-delà de l’Objectif de développement durable (ODD) 13 pour l’action climatique. Une récente étude[4] sur les implications des dernières données et recherches scientifiques sur l’état du climat mondial pour le développement durable a souligné à quel point la transformation de notre climat affectait déjà l’accomplissement des ODD. La concentration de CO2 favorisant le changement climatique planétaire est indirectement responsable des risques pesant sur presque chacun des ODD.

À partir de sept indicateurs climatiques (température de surface, contenu thermique des océans, concentration atmosphérique du dioxyde de carbone, acidification océanique, montée du niveau des mers, bilan de masse glaciaire et étendue des glaces marines), l’étude a conclu que le changement climatique comportait d’énormes risques pour le développement durable, et tout particulièrement pour la biodiversité, et mettait du même coup en péril l’atteinte des objectifs en termes de sécurité alimentaire (ODD 2), de la lutte contre la pauvreté (ODD 1) et de maintien de la paix (ODD 16). L’effet en cascade produit par l’accroissement de la concentration de CO2 sur la réalisation des objectifs de développement durable renforce les inégalités existantes et menace les besoins élémentaires que sont l’alimentation, l’eau, la santé, le logement, la sécurité économique et la paix collective dans le monde.


Figure 3. Indicateurs climatiques et leurs impacts sur les ODD (OMM, 2021)

La compréhension des complexités du changement climatique et du développement international est un enjeu constant. Cela dit, le besoin se fait sentir d’une collaboration internationale accrue, indispensable à la réussite des ODD, et d’une limitation du réchauffement climatique à moins de 2°C, voire 1,5°C, d’ici la fin du siècle. De toute évidence, l’accélération de la réduction des émissions de GES constitue l’une des actions climatiques les plus efficaces et impératives pour accomplir les ODD.

Appel urgent à l’action

Si le changement climatique pose un énorme défi global, il n’en constitue pas moins une formidable opportunité. La dernière décennie a déjà été marquée par la forte réduction des coûts des énergies renouvelables, à commencer par le solaire, l’éolien et le stockage par batteries, dont les bénéfices pour d’autres pans de l’économie ont d’ailleurs été clairement démontrés.

Dans tous les secteurs de l’économie mondiale, se font jour de multiples possibilités pour stimuler les solutions créatives. Avec une grande détermination et beaucoup de courage, nous pouvons croire en un avenir propre et durable, fruit de l’innovation technologique, de l’attention portée à la nature et aux services qu’elle fournit, et de la contribution de chacun des acteurs de nos sociétés à un monde meilleur.

À l’occasion de la COP 26, les dirigeants mondiaux doivent prendre leurs responsabilités pour embrasser le changement et les opportunités pouvant en émerger. Nous ne pouvons pas laisser passer la chance de pouvoir assurer aux générations futures un héritage pour plusieurs générations.  

Roberta Boscolo, responsable du climat et de l'énergie à l'Organisation météorologique mondiale, Genève.

[1] Unis dans la science 2021, https://library.wmo.int/index.php?lvl=notice_display&id=21946#.YXGd59lBzx9

[2] GIEC AR6, La base de la science physique, 2021, https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/

[3] Atlas de la mortalité et des pertes économiques dues aux phénomènes météorologiques, climatiques et hydrologiques extrêmes (1970-2019) https://library.wmo.int/index.php?lvl=notice_display&id=21930#.YXGgZdlBzx9

[4] Indicateurs climatiques et développement durable: Démontrer les interconnexions, 2021 https://library.wmo.int/index.php?lvl=notice_display&id=21953#.YXGhrdlBzx9