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Droits au chômage, assurance maladie, retraite, logement, éducation, accès à l’eau potable… il est du devoir de l’État, et de la société tout entière, de veiller à ce que les apatrides en bénéficient.
Ulrike Lauerhaß est chef de projet pour le bureau de Beyrouth de la Fondation Rosa-Luxembourg, à Berlin. Eva Wuchold est directrice de programme pour les droits sociaux au bureau de la Fondation à Genève.
L’article a été publié dans le guide pour l’Atlas des apatrides en français, anglais et allemand.
Les apatrides se qualifient souvent d’« invisibles », car ils n’apparaissent dans aucun document officiel. En conséquence, ils sont soumis à toutes sortes de discriminations et de restrictions, et peuvent même être totalement exclus de la société. La citoyenneté est associée à des valeurs émotionnelles, telles que le sentiment d’appartenance et d’identité, mais aussi aux droits civils et politiques fondamentaux, ainsi qu’à l’accès au système de sécurité sociale. L’État a le devoir de protéger toute personne sur son territoire contre les abus, et de faire pleinement respecter ses droits fondamentaux. Mais dans le cas des apatrides, ce principe est, en pratique, souvent restreint ou même violé. C’est particulièrement vrai pour les droits sociaux, les Droits de l’homme dits de « deuxième génération ».
Les droits sociaux sont des droits individuels fondamentaux et humains auxquels toute personne peut pré-tendre simplement en vertu de son humanité. Ils visent à protéger l’individu contre l’exploitation et à lui garantir le droit de participer et de bénéficier des richesses de la société. Ils sont considérés comme innés, inviolables, inaliénables et indépendants de la citoyenneté. Le droit à la sécurité sociale est un élément central de ces droits sociaux. L’article 22 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 et l’article 9 du Pacte social des Nations unies stipulent qu’en tant que membre de la société, tout être humain a droit à la sécurité sociale. Malgré cet énoncé juridique protecteur, le fait est que les droits civils et politiques resteront illusoires si les personnes ne bénéficient pas au préalable de la sécurité matérielle ainsi que des droits sociaux et culturels.
L’État est tenu de fournir les bases nécessaires à la quête des droits sociaux, dans la mesure où il a les moyens de le faire. Si ce n’est pas le cas, c’est le devoir de la communauté des États et des organisations internationales. Toutefois, une interrogation subsiste : l’article 9 du Pacte des Nations unies n’induit aucune obligation, en vertu du droit international, de mettre en pratique la sécurité sociale. Le droit à un niveau de vie suffisant est inscrit à l’article 25 de la Déclaration universelle des Droits de l’homme, et les normes minimales de sécurité sociale sont définies dans la Convention 102 de l’Organisation internationale du travail (OIT). Si le « quoi » est clair, il reste une grande marge de manœuvre quant au « comment ». À savoir, de quelle manière la sécurité sociale devrait être assurée en conformité avec la Conven-tion 102.
La question « pour qui » est également sujette à caution : quels bénéficiaires devraient être inclus dans le système de sécurité sociale ? Globalement, les États ont une interprétation très restrictive. Ce qui implique que les apatrides ne peuvent pas invoquer les lois nationales, et se trouvent donc dans un vide juridique. Leur accès aux services sociaux de base est entravé. Ils peuvent rarement obtenir ou faire valoir des qualifications scolaires ou universitaires, ils sont victimes de discrimination et de harcèlement de la part des autorités, avec le risque inhérent d’être exploités. Autres conséquences : sans papiers d’identité, ils ne peuvent pas ouvrir de compte bancaire, circuler librement, voter, s’enregistrer ou enregistrer officiellement les membres de leur famille.
Ainsi que le déplorait la philosophe Hannah Arendt en 1949, cela induit qu’ils sont non seulement exclus d’une société en particulier, mais également de toute la « famille des nations ». L’exclusion est un processus qui conjugue de nombreux facteurs individuels, locaux, nationaux et mondiaux. Elle est portée par des rapports de force inégaux. Les droits sociaux mondiaux (Global Social Rights) constituent une approche permettant de surmonter ces inégalités. Ils sont fondés sur les droits de l’Homme, mais ne seraient pas destinés à contraindre une organisation nationale ou supranationale qui accorderait de tels droits. En lieu et place, les gens devraient affirmer collectivement ces fondamentaux (justice, liberté et dignité), ainsi que le droit au travail, à l’alimentation et à la santé (entre autres), et se les approprier en pesant sur les changements politiques et sociaux, devenant ainsi des membres autodéterminants de la société.
L’exclusion des apatrides, comme toute éviction, est un processus multidimensionnel qui est favorisé par un déséquilibre des relations de pouvoir. Elle évolue à différents niveaux : individuel, familial, collectif, communautaire, étatique et mondial. L’une des approches permettant de faire face à ce fléau est celle des « droits sociaux mondiaux ». Ceux-ci sont basés sur le cadre des Droits de l’Homme, mais ils ne dépendent pas d’un État ou d’une organisation supranationale pour les accorder, et appellent plutôt à l’appropriation active de droits reconnus comme fondamentalement légitimes. Ils stimulent les processus collectifs parce qu’ils partent du principe que les droits sont toujours dus à tout individu.
La notion de droits sociaux mondiaux consacre l’émancipation de l’individu via l’appropriation des droits de l’homme universels. Ce concept devrait être employé de manière à ce que le « droit aux droits » soit intégré au quotidien partout dans le monde. En ce sens, éradiquer l’apatridie dans le monde ne serait qu’un premier pas. L’objectif final devrait être plutôt de mettre un terme à l’obligation de citoyenneté, afin que tous les êtres humains soient véritablement libres et égaux. Cela dessine une société mondiale dans laquelle il n’existe pas d’extérieur, et où personne ne peut être exclu ou perdre ses droits sociaux en raison d’un défaut de citoyenneté, comme l’écrit le sociologue allemand Niklas Luhmann.
Pour dissiper la contradiction entre la justice mon-diale et l’Étatnation et pour établir des droits sociaux mondiaux, il faudrait redistribuer les richesses à l’échelle mondiale. C’est réalisable. En 2019, plus de 600 millions de personnes vivaient dans un statut d’extrême pauvreté, survivant avec moins de 1,90 dollar par jour. Environ 55 % de la population mondiale ne bénéficiait d’aucune sorte de protection sociale, que ce soit sous forme d’assistance sociale, d’allocations de chômage ou de pension d’invalidité. Paradoxalement, dans le même temps, le revenu annuel global s’élevait à plus de 11 000 dollars par personne. Transférer seulement 1% des revenus des pays riches vers les plus pauvres – soit 500 milliards de dollars sur 90 000 milliards par an – suffirait à garantir le droit à la sécurité sociale pour tous.