mars 31, 2021

Rosa Grimm

Brigitte Studer

« Rosa rouge n° 1 » – la femme révolutionnaire


Ennemie jurée de la bourgeoisie helvétique, elle faisait également l’objet de critiques issues des rangs des sociaux-démocrates : aux yeux de nombreux de ses contemporains, la « première Rosa la rouge » (la seconde étant Rosa Bloch) était l’incarnation même de la « femme révolutionnaire » et donc la contradiction par excellence du cliché de la « femme suisse » de l’époque. Rosa Grimm-Schlain est née le 27 janvier 1875 à Odessa, d’une famille de commerçants juifs aisés. Elle divorcera à deux reprises et fut une socialiste de gauche qui deviendra plus tard l’une des fondatrices du Parti communiste suisse (PCS). Ses origines, son mode de vie et son apparence firent l’objet de critiques insultantes, méprisantes et misogynes de la part de la presse bourgeoise et même du « Grütlianer » (le journal de la Société du Grütli). On l’appelait « notre Rösli adoptive », la qualifiait de « Russe exaltée », de « crapaud venimeux » et de « hyène » ; on la traitait de laide, de vieille et de trop maigre. Même son second mari, le social-démocrate suisse Robert Grimm, avec qui elle aura deux enfants, la décrit comme une mauvaise mère et une ménagère incapable suite à leur divorce en 1916.


Rosa Grimm-Schlain, between 1908 and 1916, when she was married to Robert Grimm. Brigitte Studer, Rosa Grimm. A life in the Swiss labor movement, unpublished licentiate thesis, University of Freiburg 1982
Rosa Grimm-Schlain, entre 1908 et 1916, lorsqu’elle était mariée à Robert Grimm. Brigitte Studer, Rosa Grimm. Une vie dans le mouvement ouvrier suisse, thèse de licence non publiée, Université de Fribourg 1982

Pourquoi cette femme attirait-elle tant de haine ? Rosa Grimm était l’une des nombreuses femmes russes venues en Suisse dans le cadre de leurs études. Au début du XXe siècle, elle fut l’une des rares femmes à s’engager activement en politique en Suisse et à occuper des postes de premier plan dans le mouvement ouvrier. Après son second divorce, elle ne vécut plus que pour son engagement politique. Elle s’installa d’abord à Zurich, où elle fut arrêtée pendant les émeutes de novembre 1917. Ayant acquis la nationalité suisse par son mariage, impossible de l’expulser. Elle s’engagea fermement en faveur de la révolution russe et plaida pour une adhésion du Parti socialiste suisse (PSS) à l’Internationale communiste récemment fondée. En 1919, elle déménagea à Bâle pour occuper le poste de rédactrice par intérim, puis permanente, du Basler Vorwärts et pour s’engager en tant que membre du comité cantonal du parti. En 1921, après la fondation du PCS, elle fut l’une des deux seules femmes membres de la nouvelle direction du parti, aux côtés de Rosa Bloch.

Rosa Grimm était très cultivée. Elle avait fréquenté une école d’art dramatique à Vienne et étudié à Berne-, sans toutefois décrocher un diplôme. Elle dirigera le supplément littéraire du Basler Vorwärts de 1921 à 1926. Sa spécialité portait sur le théâtre et la critique littéraire. Dans la dispute opposant la culture « bourgeoise » à la culture « prolétarienne », elle défendait l’importance de connaissances générales pour la lutte des classes — une position qui fut marginalisée avec la « bolchevisation » et la stalinisation des partis communistes à partir de la seconde moitié des années 1920. Outre son engagement politique pour des questions culturelles, Rosa Grimm défendait également la condition des femmes. Elle était membre du comité d’agitation des femmes du PCS et fit campagne pour le suffrage féminin et la dépénalisation de l’avortement, deux questions échauffant les esprits dans le canton de Bâle-Ville dans les années 1920. Rosa Grimm lutta haut et fort et avec véhémence contre la « morale hypocrite de la société bourgeoise » ainsi que contre la « mentalité petite-bourgeoise » de ses camarades… hommes comme femmes.

Grâce à sa connaissance du russe et ses rapports avec Lénine et d’autres bolcheviks de premier plan, elle entretenait des contacts étroits avec l’Union soviétique. Elle assista à plusieurs reprises à des congrès et conférences internationales en tant que déléguée et entretenait une amitié profonde avec Clara Zetkin et Nadejda Kroupskaïa. Dans les années 1920, elle s’installa un moment à Berlin, puis, de 1930 à 1931, à Moscou, où elle travaille comme traductrice pour l’Internationale communiste. A son retour, elle critique le développement de l’Union soviétique, mais restera membre du parti, bien qu’elle soit éclipsée au sein du PCS dans les années 1930. Elle redevient membre du SPS pendant la Seconde Guerre mondiale. Appauvrie, Rosa Grimm mourut le 12 novembre 1955 près de Zurich.

Brigitte Studer, historienne, professeure émérite de l’Université de Berne, est spécialiste de l’histoire des femmes et du genre ainsi que de l’histoire du communisme international et du stalinisme. Elle a récemment publié La conquête d’un droit. Le suffrage féminin en Suisse et Reisende der Weltrevolution. Eine Globalgeschichte der Kommunistischen Internationale.