mai 16, 2024

Trans par-ci, Trans par-là, c’est la TRANSMANIA

Léon Salin


Introduction

Le 11 avril 2024, les autrices Dora Moutot et Marguerite Stern publient l’ouvrage TRANSMANIA.

« Bienvenue dans un monde où Robert devient Catherine. « Homme enceint », « non-binaire », « iel », « changer de sexe », « naître dans le mauvais corps », « transgenre », ces termes envahissent notre quotidien. Trans par-ci, trans par-là, partout c’est la transmania ! »

Les deux autrices se sont réunies pour « dénoncer » ce qu’elles nomment « l’idéologie transgenre », qui serait entrain « d’infiltrer toutes les sphères de la société ». Elles cultivent l’idée que les personnes transgenres seraient un danger pour la société ; qu’il y aurait une « explosion de cas » et un « scandale sanitaire à l’approche ». La publication de cet ouvrage fait partie d’une vague de montée de pensée à l’encontre de la communauté LGBTQIA+. Par ailleurs, leur publication coïncide avec une proposition de loi française visant à interdire les transitions de genre chez les mineurs pour « prévenir un scandale éthique[1]». Le même type de loi avait été proposé en Suisse en 2023.

Le livre est très médiatisé et se retrouve en tête des ventes sur Amazon[2]. Néanmoins, l’ouvrage est qualifié de « haineux » par une tribune signée par plus de 800 personnalités publiques et collectifs dans l’hebdomadaire Politis. Les affiches promotionnelles sont retirées des rues de Paris par le groupe JCDecaux. Un rassemblement contre la montée de la transphobie est organisé le 5 mai dans de nombreuses villes européennes. SOS Homophobie porte plainte contre les deux autrices, les qualifiant de « vendeuses de haine ».

Cette publication a l’écho d’un coup de couteau dans une plaie ouverte. Pourquoi s’attaquer à un groupe de personnes représentant 0,35% de la population française[3]?

Les personnes transgenres sont particulièrement vulnérables sur le plan de la santé, avec un taux de suicide 8 fois plus élevé que la moyenne[4], des ruptures familiales, de l’isolement, de la déscolarisation, entre autres défis. Malgré cela, les autrices ont délibérément choisi de faire de la transidentité et des personnes transgenres leur principal sujet de combat.


Définitions

Transgenre, trans : toute personne qui ne s’identifie pas avec le genre qui lui a été attribué à la naissance.
Homme transgenre : Un homme, mais qui a été assigné fille à la naissance.
Femme transgenre : Une Femme, mais qui a été assignée garçon à la naissance.
Cisgenre : Toute personne qui s’identifie au genre qui lui a été attribué à la naissance. Contraire de transgenre.
Dysphorie de genre : Mal-être ressenti lors de la non-concordance entre le genre assigné à la naissance et le genre ressenti.
Homosexuel.le : Le genre et l'attirance sexuelle sont deux concepts séparés. Une personne homosexuelle est attirée sexuellement par une personne du même genre.

Les autrices : du féminisme à la haine

Marguerite Stern et Dorat Moutot sont d’anciennes militantes féministes. Ex-Femen, Marguerite Stern est l’instigatrice du mouvement des collages féministes visant à dénoncer les féminicides[5]. Dora Moutot est une des premières influenceuses « sexo » d’Instagram. En 2018, elle crée le compte @tasjoui qui atteint aujourd’hui les 420K abonné.e.s. Son compte est au départ centré sur la domination des hommes dans les rapports hétérosexuels. Autrice de plusieurs livres, elle sera également rédactrice en chef de Konbini.

Les deux autrices ont le même point de départ : la défense des femmes. Progressivement, elles quitteront cet engagement pour en incarner un nouveau : la défense d’un corps de femme unique, basé sur une conception simpliste de la biologie, face à ce qu’elles perçoivent comme la plus grande menace du 21e siècle : le transactivisme et les femmes trans.

En 2019, Dora Moutot commence à partager ses doutes quant à l’inclusion des femmes trans dans la catégorie femme via une campagne du collectif « Gang du Clito ». Cette campagne affirmait : « toutes les femmes ont un clitoris, toutes les personnes qui ont un clitoris sont des femmes[6]». Ce slogan se base sur un seul type de femme : les femmes cisgenres non excisées et dyadiques[7]. Face à cette affirmation, Dora Moutot reçoit beaucoup de contestation. Sa perception essentialiste des femmes déplait à de nombreuses personnes. Progressivement, elle publie de plus en plus de contenu en lien avec les femmes trans. Elle affiche des photos de femme transgenres en transition en demandant si ses abonné.e.s pensent que ces personnes sont « de vraies femmes » ou encore si elles se sentiraient en sécurité dans des toilettes publiques « avec lui ? ». En 2022, sur le plateau de Quelle époque !, Dora Moutot qualifie la première maire transgenre de France, Marie Cau, « d’homme transféminin ». Cette dernière porte plainte pour incitation à la haine.

La radicalisation anti-trans de Marguerite Stern se développe de manière similaire. Au départ, elle est concentrée dans la lutte contre les féminicides à travers les collages. De la même manière que sa compatriote, elle veut sensibiliser sur la défense des femmes. En 2018, elle s’enrage sur X d’une « infiltration d’hommes déguisés en femmes » dans la manifestation féministe « Nous Toutes ». À partir de ce moment-là, elle reçoit également énormément de critiques et menaces face à ses prises de positions anti-trans.

À un moment donné de leurs vies respectives, chacune d’entre elles a exprimé, propagé et partagé de la haine à l’égard des personnes transgenres. Ces attaques directes contre la légitimité des personnes transgenres leur ont attiré une forte opposition, tant de la part des personnes transgenres que de leurs allié-e-s. Au lieu de remettre en question la nature de leurs positions, elles ont interprété une réaction aussi négative à leurs propos comme une confirmation de leur rectitude. Au nom de la liberté d’expression et de la lutte contre la censure, elles ont cherché à renforcer davantage leurs positions anti-trans.

Elles quittent les milieux féministes pour se concentrer sur ce qu’elles perçoivent comme le premier danger à l’encontre des femmes : les femmes trans. Elles sont qualifiées de TERF, Trans Exclusionary Radical Feminist, un terme utilisé pour définir les féministes qui souhaite exclure les personnes trans. Elles créent le mouvement Femelliste, une plateforme en ligne pour défendre les « réalités biologiques » et lutter contre le transactivisme. Elles décrivent le femellisme comme la lutte pour la « valorisation de la femellité (fait d’être une femelle), faire reconnaître la réalité de la sexuation, les intérêts des femmes face à l’idéologie trans[8]».

La publication de leur ouvrage Transmania est le point culminant de leur lutte contre ce qu’elles nomment l’idéologie transgenre. Publié par les éditions Magnus, qualifiée de maison d’extrême droite, les deux autrices sont invitées dans de nombreux médias positionnés à droite de l’échiquier politique. Sur X, on peut retrouver Marion Maréchal-Le Pen posant avec le livre à la main. Marguerite Stern affirme : « On est très contentes qu’elle nous apporte son soutien[9]». Mais encore, elles sont invitées par l’association étudiante d’extrême droite, la Cocarde, à une conférence à l’université Assas à Paris.

Le cœur du problème : la définition de la femme

Le fil rouge de leur livre est l’histoire de « Robert ». Un personnage fictif, une caricature insultante d’une femme transgenre qui serait une perverse sexuelle : « Il a enfilé une paire de bas en nylon, les mêmes que ceux que portait sa mère, ce qui lui a immédiatement donné la gaule[10]». Elles expliquent que « Robert » souffre « d’androgynéphilie », le besoin compulsif de travestissement pour sa propre excitation.

Elles replacent la transidentité comme une maladie et les personnes trans comme des pervers sexuels.

Leur argument central repose sur l’idée que les femmes transgenres sont en réalité des hommes qui choisissent de transitionner afin de pénétrer des espaces traditionnellement réservés aux femmes, tels que les toilettes publiques ou les manifestations féministes. Selon leur perspective, la transition n’a pour seul but que de satisfaire des désirs sexuels liés à l’accès à ces milieux réservés aux femmes.

Néanmoins, il est important de souligner que les femmes trans ne transitionnent pas dans le but d’agresser d’autres femmes dans les toilettes publiques. Leur transition vise plutôt à aligner leur apparence physique avec leur identité de genre. Car le genre, même pour les personnes cisgenres, est un ressenti.

Bien qu’il existe une base biologique déterminée par le sexe biologique, comprenant divers indicateurs anatomiques et physiologiques, les attributs sociaux associés à ce sexe sont largement construits socialement. En d’autres termes, les attentes et les normes de genre sont des constructions sociales plutôt que des caractéristiques intrinsèques.

Sur leur site internet, Moutot et Stern affirment :

« Il ne suffit pas d’aimer le rose et de se sentir femme pour en être une[11]».

Pourtant, en 1949, Simone de Beauvoir avait déjà compris que : « on ne nait pas femme, on le devient ».

Transitionner est un processus long, douloureux, onéreux et dangereux. Personne n’effectue une transition de genre dans le seul but d’aller agresser ou prendre la place des femmes. Les femmes trans transitionnent, car elles sont femmes, et ont besoin que les autres les perçoivent comme elle se ressentent.

Impact sur les personnes transgenres

« Je viens de faire mon coming-out trans à mes parents. Le lendemain, ils ont acheté le livre Transmania et l’ont posé devant moi. Je sais pas quoi faire, j’ai besoin d’aide » – Isaac*, 19 ans

Le 5 mai 2024, de nombreux rassemblements ont été organisés à travers la France, où des personnes trans et leurs allié-e-s ont exprimé leur opposition croissante à la transphobie. Ce type de publication a un impact significatif sur la vie et même la survie des personnes transgenres. La transphobie étant déjà largement répandue, ce genre d’ouvrage ne fait que renforcer les préjugés à l’égard d’un groupe déjà marginalisé. Dans un contexte où les personnes trans cherchent simplement à obtenir des changements légitimes tels que le changement de prénom, de genre, des interventions chirurgicales ou des traitements hormonaux, un tel livre ne fait que contribuer à la marginalisation d’une population déjà vulnérable.

Conclusion

En conclusion, l’ouvrage « Transmania » publié par Dora Moutot et Marguerite Stern a déclenché une vive controverse et a été l’objet de nombreuses manifestations en France contre la montée de la transphobie. Cette publication, considérée comme haineuse par certain-e-s, ne fait que renforcer les préjugés et la marginalisation des personnes transgenres, déjà confrontées à une société où la transphobie est largement répandue. Il est essentiel de reconnaître que la transidentité n’est pas une menace, mais plutôt une expression légitime de l’identité de genre.

Face à cette transphobie persistante, il existe heureusement des alternatives éducatives et informatives. Des ouvrages tels que « Une Histoire des genres : Guide pour comprendre et défendre Les Transidentités » de la militante transgenre Lexie (@aggressively_trans) et « Ceci n’est pas un livre sur le genre » du psychologue engagé Morgan Noam (@morgan_noam) offrent des perspectives enrichissantes pour sensibiliser, éduquer et défendre les droits des personnes transgenres. Ces ressources sont des outils précieux dans la lutte contre la transphobie et la promotion de l’inclusion et du respect de la diversité de genre.

Léon Salin est un activiste transgenre romand. Il lutte pour une meilleure représentation des personnes trans à travers les réseaux sociaux, notamment Instagram et TikTok (@salinleon). Président de Salin Association, il se rend dans les écoles, les entreprises et les institutions pour former sur les transidentités.

[1] Seznec, P. E. (2024, March 19). Exclusif. Les Sénateurs LR veulent interdire le changement de genre des mineurs. Le Point. https://www.lepoint.fr/politique/exclusif-les-senateurs-lr-veulent-interdire-le-changement-de-genre-des-mineurs-18-03-2024-2555326_20.php#11

[2] Par Bérangère Lepetit et Elsa Mari Le 2 mai 2024 à 18h18,  modifié le 3 mai 2024 à 09h03. (2024, May 3).  » livre haineux  » ou  » Franc-parler «  ? “ transmania ” met Le feu aux poudres. leparisien.fr.

[3] Haute Autorité de Santé (HAS). (2022). Cadre Parcours de transition des personnes transgenres. Validée par le Collège le 7 septembre 2022. [Document interne]. Ministère des Solidarités et de la Santé. Service(s) : SBP. Personne(s) chargée(s) du projet : Muriel Dhénain.

[4] Erlangsen A, Jacobsen AL, Ranning A, Delamare AL, Nordentoft M, Frisch M. Transgender Identity and Suicide Attempts and Mortality in Denmark. JAMA. 2023;329(24):2145–2153. doi:10.1001/jama.2023.8627

[5] Les collages féministes consistent à coller des slogan féministes dans les espaces urbains.

[6] Grosjean, M. (2019, March 13). Les affirmations sur le clitoris passées au crible. Tribune de Genève. https://www.tdg.ch/les-affirmations-sur-le-clitoris-passees-au-crible-837866993420

[7] Une personne qui n’est pas intersexe

[8] Bussigny, P.N. (2023) ‘ FEMELLISTE ’, La Nouvelle chapelle Féministe Controversée, Le Point. Available at: https://www.lepoint.fr/societe/femelliste-la-nouvelle-chapelle-feministe-controversee-13-01-2023-2504729_23.php#11 (Accessed: 15 May 2024).

[9] Par Bérangère Lepetit et Elsa Mari Le 2 mai 2024 à 18h18,  modifié le 3 mai 2024 à 09h03. (2024, May 3).  » livre haineux  » ou  » Franc-parler «  ? “ transmania ” met Le feu aux poudres. leparisien.fr.

[10] Extraits et passages de Transmania : Enquête Sur les Dérives de l’Idéologie Transgenre de Marguerite Stern, Dora Moutot. Available at: https://booknode.com/transmania_enquete_sur_les_derives_de_lideologie_transgenre_03567693/extraits (Accessed: 15 May 2024).

[11] D’où vient le terme femelliste ?, Quelle est la différence entre le sexe et le genre ? and Pourquoi des féministes militent-elles pour que les femmes trans ne puissent pas participer aux compétitions sportives féminines ? (no date) FEMELLISTE. Available at: https://www.femelliste.com/ (Accessed: 15 May 2024).