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En octobre dernier, le Conseil des droits de l’homme a reconnu le droit à un environnement propre, sain et durable. La reconnaissance de ce droit par le Conseil des droits de l’homme cristallise des décennies de discussions et de développements normatifs sur l’intégration entre les droits humains et l’environnement. En même temps, elle sert de tremplin pour promouvoir des politiques économiques, sociales et environnementales transformatrices qui protégeront les personnes et la nature.
Le droit à un environnement propre, sain et durable comprend un environnement non toxique où les gens peuvent vivre, travailler, étudier et jouer. Cependant, le monde est en proie à des injustices environnementales inadmissibles qui exposent les personnes et les environnements à des niveaux extrêmes de pollution et de contamination toxique, entrainant de graves risques pour la santé ainsi qu’une dégradation de l’environnement. La mise en œuvre de ce droit est aujourd’hui plus nécessaire que jamais.
Le droit à un environnement exempt de substances toxiques requiert des changements systémiques et transformateurs du droit de l’environnement, exigeant des États et des entreprises qu’ils cherchent à atteindre la pollution zéro et l’élimination des substances toxiques, plutôt que d’essayer simplement de minimiser, réduire et atténuer l’exposition à ces dangers.
Nous devons inverser les trajectoires actuelles de destruction et de toxification de l’environnement, et l’adoption d’une approche fondée sur les droits humains peut nous y aider. En outre, la prévention de l’exposition aux substances toxiques est essentielle à la réalisation de nombreux Objectifs de Développement Durable, notamment ceux liés à la santé (ODD 3), à l’eau potable (ODD 6) et à la consommation et la production durables (ODD 12).
Pollution omniprésente et contamination toxique des personnes et de la planète
La pollution et les substances toxiques ont un impact négatif disproportionné sur la santé humaine, les droits humains et l’intégrité environnementale. Cependant, ces impacts monumentaux sont largement ignorés. Un décès sur six dans le monde est lié à des maladies causées par la pollution, soit trois fois plus que les décès dus au sida, au paludisme et à la tuberculose réunis et quinze fois plus que l’ensemble des guerres, meurtres et autres formes de violence.
La toxification de la planète s’intensifie. La production, l’utilisation et l’élimination globales de produits chimiques dangereux continuent d’augmenter rapidement. Des centaines de millions de tonnes de substances toxiques sont rejetées chaque année dans l’air, l’eau et le sol. Cette croissance se traduira par une exposition accrue et une aggravation des effets sur la santé et l’environnement, à moins que des mesures ambitieuses, urgentes et mondiales ne soient prises en collaboration par toutes les parties prenantes et dans tous les pays.
Bien qu’un vaste corpus de réglementations internationales et plusieurs instruments volontaires adoptés par des organisations internationales traitent de la pollution et des substances toxiques, leur efficacité est minée par de nombreuses lacunes et faiblesses majeures, notamment par le fait qu’aucun d’entre eux ne mentionne les droits de l’homme, que la grande majorité des substances toxiques ne sont pas contrôlées, que peu de pays remplissent toutes leurs obligations et que de nombreux instruments ne disposent pas d’outils d’application adéquats.
Injustices environnementales et zones de sacrifice
Les injustices environnementales résultent de l’exposition disproportionnée des communautés racisées et des pauvres à la pollution, et des effets concomitants sur la santé et l’environnement. Elles découlent également de l’inégalité de la protection et de la qualité de l’environnement assurée par les lois, les règlements, les programmes gouvernementaux, l’application des lois et les politiques.
De nombreuses injustices environnementales sont transnationales, voire mondiales, la consommation dans les États riches ayant de graves répercussions sur la santé, les écosystèmes et les droits humains dans d’autres pays. Les États à haut revenu continuent d’exporter de manière irresponsable des matières dangereuses telles que les pesticides, les déchets plastiques, les déchets électroniques, les huiles usées et les véhicules abandonnés, ainsi que les risques sanitaires et environnementaux qui y sont associés, vers les pays à faible et moyen revenu, en profitant du fait que ces pays ont souvent des réglementations plus faibles dont l’application est limitée.
En outre, les communautés pauvres, vulnérables et marginalisées ont moins de chances d’avoir accès aux informations sur l’environnement, de participer à la prise de décision concernant l’environnement ou d’avoir accès à la justice et à des recours efficaces lorsque leurs droits sont mis en danger ou violés par la pollution et les produits chimiques toxiques.
Une zone sacrifiée désigne un endroit où les résident.e.s subissent des conséquences dévastatrices sur leur santé physique et mentale et des violations des droits humains parce qu’ils et elles vivent dans des points chauds de pollution et des zones fortement contaminées.
Les installations les plus polluantes et les plus dangereuses, notamment les mines à ciel ouvert, les fonderies, les raffineries de pétrole, les usines chimiques, les centrales électriques au charbon, les gisements de pétrole et de gaz, les aciéries, les décharges et les incinérateurs de déchets dangereux ont tendance à se trouver à proximité des communautés pauvres et marginalisées.
Les zones de sacrifice sont souvent créées par la collusion des gouvernements et des entreprises, et elles nuisent aux intérêts des générations actuelles et futures. Les personnes qui vivent dans ces zones sont souvent exploitées, traumatisées et stigmatisées. Elles sont considérées comme jetables, leur voix est ignorée, leur présence est exclue des processus de décision et leur dignité et leurs droits humains sont bafoués. Les zones de sacrifice existent dans le monde entier, tant dans les pays développés que dans les pays en développement.
Obligations en matière de droits humains liées à la pollution généralisée et aux substances toxiques
La reconnaissance récente du droit à un environnement propre, sain et durable devrait marquer un tournant dans l’approche de la société en matière de gestion de la pollution et des substances toxiques. Du point de vue des droits humains, la réalisation d’un environnement non toxique est une obligation juridiquement contraignante plutôt qu’une option politique. En corollaire du droit à un environnement propre, sain et durable, les états et les entreprises ont un ensemble complet d’obligations et de responsabilités correspondantes qui comprennent :
- La prévention : Les États devraient adopter des mesures pour parvenir à une pollution et à des déchets nuls, et les entreprises devraient rapidement et volontairement modifier leurs pratiques et leurs produits pour atteindre ces résultats.
- La précaution : Les États doivent interdire de manière proactive les substances qui partagent certaines caractéristiques, notamment la toxicité aiguë, la bioaccumulation et la persistance, ainsi que les substances cancérigènes, mutagènes, neurotoxiques et perturbatrices endocriniennes.
- La non-discrimination : Les États doivent éviter de créer de nouvelles injustices environnementales, éviter d’exacerber les situations d’injustice environnementale existantes et prendre des mesures de toute urgence pour améliorer la qualité de l’environnement et la santé humaine dans les zones sacrifiées.
- Non-régression : Les États doivent adopter des normes scientifiques en matière de pollution et de substances toxiques, sur la base d’orientations internationales, et renforcer ces normes au fil du temps pour refléter les progrès scientifiques.
- Devoirs spéciaux envers les populations vulnérables : Les États doivent accorder une attention particulière aux groupes vulnérables ou marginalisés dont les droits sont, ou pourraient être, menacés par une pollution et une contamination toxique généralisées.
Mise en œuvre du droit à un environnement propre, sain et durable
Après des décennies de reconnaissance aux niveaux régional et national, il existe un bilan substantiel de la mise en œuvre du droit à un environnement propre, sain et durable par les institutions nationales des droits humains, les cours et tribunaux régionaux et les tribunaux nationaux dans des affaires de pollution et de substances toxiques. Ceux du Chili, de la Colombie, du Costa Rica, de la Croatie, de la France, de la Hongrie, de l’Inde, du Kenya, du Mexique, de la Norvège, des Philippines et de l’Afrique du Sud, entre autres, ont été actifs dans la lutte contre les menaces pesant sur le droit des personnes à un environnement sain et non toxique. Leurs efforts illustrent le potentiel du droit à un environnement propre, sain et durable à être utilisé pour prévenir et réhabiliter les zones sacrifiées et les injustices environnementales.
Un certain nombre de pays et d’organisations ont pris des mesures pour assurer à la fois la prévention des injustices environnementales futures et la réparation des injustices passées et actuelles. Il existe des arguments économiques convaincants en faveur de l’élimination de la pollution et de l’exposition aux substances toxiques. Par exemple, la pollution de l’air coûte entre 330 et 940 milliards d’euros par an dans l’Union européenne, y compris les journées de travail perdues, les coûts des soins de santé, les pertes de rendement des cultures et les dommages aux bâtiments, alors que les mesures visant à améliorer la qualité de l’air coûtent environ 70 à 80 milliards d’euros par an.
Conclusions
Les techniques actuelles de gestion des risques liés à la pollution et aux substances toxiques sont manifestement défaillantes, ce qui entraîne des violations généralisées du droit à un environnement propre, sain et durable. Il en résulte une dégradation de l’environnement, des décès prématurés et une mauvaise santé pour des milliards de personnes, révélant un déni systématique de la dignité et des droits humains. Les obligations substantielles découlant du droit à un environnement non toxique nécessitent une action immédiate et audacieuse pour désintoxiquer le corps des gens et l’environnement. L’exposition aux substances toxiques doit être évitée en éliminant la pollution, en mettant fin à l’utilisation ou au rejet de substances dangereuses et en réhabilitant les communautés contaminées. Une approche fondée sur les droits humains pour prévenir l’exposition à la pollution et aux produits chimiques toxiques pourrait sauver des millions de vies chaque année, tout en évitant à des milliards de maladies de se développer.
Compte tenu de la trajectoire de l’humanité en matière de produits toxiques, de changement climatique et de perte de biodiversité, la planète risque de devenir une zone de sacrifice humain. Mais le potentiel transformateur du droit à un environnement sans produits toxiques peut nous aider à garder notre planète habitable.
Marcos Orellana est le rapporteur spécial des Nations unies sur les substances toxiques et les droits de l'homme
David Boyd est le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l'homme et l'environnement