juillet 7, 2021

L’agenda pour le Travail décent de l’OIT pourrait-il devenir une réalité au sein des chaînes d’approvisionnement mondiales ?

Silvana Cappuccio

Faire de l’agenda pour le travail décent[i] une réalité au sein des chaînes d’approvisionnement mondiales doit être une priorité urgente pour l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Avec son mandat mondial pour promouvoir la justice sociale, son expérience et son expertise, son rôle normatif et sa structure tripartite[ii], l’OIT est un organisme multilatéral unique en son genre au sein des Nations Unies dont la position dans l’arène internationale consiste à résoudre les contradictions et les lacunes qui exacerbent, voire, créent des inégalités, en ouvrant la voie à un changement radical et à un développement fondé sur les critères qui ont été forgés au niveau tripartite au cours des cent dernières années.


Travailler au sein des chaînes d’approvisionnement ou de valeurs (CAM et CVM[iii]), tant au niveau mondial que national, est l’un des traits les plus significatifs des transformations subies par l’organisation du travail au cours des dernières décennies. Son ampleur et ses implications mondiales sont considérables. Quatre-vingts pour cent du commerce mondial a lieu dans des « chaînes de valeur » liées à des sociétés transnationales[iv]. On estime qu’un travailleur sur cinq dans le monde travaille dans l’une d’entre elles[v]. Puisque la plupart du travail dans les CAM se situe dans le secteur informel qui emploie des travailleurs occasionnels, des travailleurs à domicile sans contrat, des travailleurs intérimaires et des travailleurs atypiques, ceux-ci n’apparaissent donc pas dans les données officielles, qui sont donc sans doute sous-estimées. En outre, dans le contexte actuel de la pandémie de COVID-19, certains facteurs liés aux niveaux élevés de chômage et de sous-emploi pourraient augmenter la précarité tout au long de la CAM.

Ces changements interviennent dans un contexte d’accélération des communications et des échanges, ainsi que d’innovation technologique rapide, sans compter la crise profonde que traversent la justice sociale et la durabilité environnementale. La plupart des travailleurs des CAM sont dans l’économie informelle, échappant à toute forme de vérification du respect ou non des droits du travail et humains fondamentaux, soumis à de maigres salaires, sans la possibilité de s’organiser et de négocier collectivement, et donc, exposés à des risques très graves de santé et de sécurité, exclus de la protection sociale, et vivant dans des conditions de pauvreté, voire de grande pauvreté. La réalité du travail dans les CAM contraste fortement avec le principe, couramment affirmé au cours des dernières décennies, selon lequel la décentralisation internationale du travail serait créatrice de richesse. Ce type de travail constitue plutôt une voie sans issue pour trop de personnes, où la dignité humaine est bafouée, les droits du travail sont violés, la pauvreté est perpétuée, et les espoirs d’un avenir meilleur et plus radieux pour les travailleurs, leurs familles et les communautés, sont une pure illusion.


Le 1er mai 2018, des femmes manifestent pour un salaire vital, des protections en cas de maternité, la liberté d’association et la fin des violences sexistes au travail, aux côtés de l’organisation de défense des droits du travail et partenaire du Solidarity Center, Awaj Foundation, près du Dhaka Press Club. L’industrie du prêt-à-porter du Bangladesh est la plus grande source de revenus d’exportation du pays. Cependant, les salaires sont les plus bas parmi les principales nations productrices de vêtements. En l’absence de syndicat, les travailleurs de l’industrie de l’habillement, en majorité des femmes, sont souvent harcelés ou licenciés lorsqu’ils demandent à leur employeur de remédier aux dangers sur le lieu de travail ou réclament des salaires décents. Photo : Musfiq Tajwar, Solidarity Center, CC BY-NC 2.0

La plupart des employés aux postes les moins payés dans les chaînes d’approvisionnement, sont des femmes. Elles sont souvent soumises à des formes multiples de discrimination, de harcèlement et de violence. L’industrie du vêtement est l’exemple le plus connu, bien qu’il ne soit pas le seul. En raison de la prolifération de zones de libre-échange dans le monde entier, il est devenu possible d’embaucher les personnes les plus vulnérables de la société. Les activités basiques de l’industrie manufacturière sont généralement concentrées dans ces zones. Les sociétés qui y investissent bénéficient d’exemptions fiscales et sont moins contrôlées quant au respect des droits des travailleurs. La liberté d’adhérer à des syndicats est menacée de répression et le droit de négociation collective est souvent ignoré. Dans certains cas, de faux syndicats sont créés pour se conformer en apparence aux exigences requises, sans que cela donne lieu à une action quelconque. Ces dérogations ont des effets dévastateurs sur la vie des travailleurs et des communautés, ainsi que sur les services publics, tels que l’alimentation en eau, l’assainissement, les services de santé et les écoles. Une fois de plus, cela contredit le principe selon lequel la décentralisation du travail crée de la richesse. En effet, ces processus favorisent l’émergence d’un cercle vicieux qui alimente à la fois la pauvreté, les discriminations, les inégalités et les obstacles à la démocratie.

En 2016, à la suite d’un débat intense et controversé entre les groupes des Travailleurs, des Employeurs, et des Gouvernements[vi], la Conférence internationale du travail a adopté une Résolution sur le travail décent dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, en déclarant, entre autres : « La préoccupation est que les normes actuelles de l’OIT ne soient peut-être pas adaptées à l’objectif de la réalisation du travail décent dans les chaînes d’approvisionnement mondiales »[vii]. Il va sans dire que le texte de cette résolution est le résultat d’un compromis, la seule issue consensuelle possible à ce stade. Les Travailleurs avaient argumenté en faveur de l’ouverture d’une discussion en vue d’établir une nouvelle norme. Le Groupe des Employeurs du Conseil d’administration de l’OIT (CA) avait fermement rejeté une telle discussion. Cela met en lumière les divergences entre les partenaires sociaux : ils sont ici et encore forcément en total désaccord puisqu’ils sont guidés par des valeurs et des objectifs incompatibles entre eux. Ainsi, le défi a toujours été et reste difficile, car les Employeurs s’opposent aux nouvelles normes. Ils travaillent depuis des années à saper, voire éteindre (sic !) le rôle normatif et le pouvoir de surveillance de l’OIT, en tentant de réduire son rôle à celui d’une simple organisation non gouvernementale (ONG). Cela a débuté lorsque les Employeurs ont commencé à remettre en question la reconnaissance du droit de grève inscrit dans la Convention 87 et à entraver le fonctionnement du mécanisme de surveillance global des anciennes normes des années 90. Par la suite, ils se sont opposés à une discussion sur une possible Convention relative au travail informel ou aux CAM. Ainsi, si la Résolution de la Conférence internationale du travail sur le travail décent dans les chaînes d’approvisionnement mondiales est loin des aspirations des travailleurs, elle permet toutefois de maintenir dans une certaine mesure le débat ouvert et de préparer le terrain pour une négociation entre les partenaires sociaux, jusqu’à l’émergence d’un meilleur climat politique.

En juin 2019, la Conférence internationale du travail a adopté la « Déclaration du Centenaire de l’OIT pour l’Avenir du travail », qui invite ses participants à « veiller à ce que les diverses formes de modalités de travail, les modèles de production et modèles d’entreprise, y compris dans les chaînes d’approvisionnement nationales et mondiales, stimulent les possibilités de progrès social et économique, permettent le travail décent et soient propices au plein emploi productif et librement choisi »[viii].

Il fallait poursuivre les efforts dans ce domaine. Ainsi, dans la foulée, le Conseil d’administration de l’OIT a convenu d’une réunion tripartite technique pour évaluer les failles existantes conduisant à des insuffisances dans les normes du travail décent, identifier les défis posés par la gouvernance, et examiner les orientations, les programmes, les mesures, les initiatives, ou les normes possibles sur le sujet du travail décent.

La réunion, qui s’est tenue à Genève, en février 2020, n’a donné lieu à aucune avancée positive en ce qui concerne l’approche du Groupe des Employeurs. Au contraire, leur langage et leur comportement envers le monde du travail étaient une nouvelle fois particulièrement agressifs. Les divergences entre les approches, les politiques, les contenus, et le langage des différents participants étaient importants et ont finalement fragilisé le texte final adopté. Pour ne citer qu’un exemple parmi beaucoup d’autres d’une longue discussion pendant la réunion ayant entravé toute avancée dans les conclusions : lorsque les trois groupes ont examiné les écarts existants dans le corpus des normes internationales du travail dans le contexte des CAM, le Groupe des Employeurs, soutenu par certains Gouvernements, a refusé et rejeté unilatéralement le langage de l’OIT faisant référence aux « normes », et a insisté pour parler de « mesures normatives et non-normatives ». Cette différence de terminologie est plus qu’une simple nuance : elle révèle les efforts des Employeurs pour affaiblir les instruments offerts par le droit du travail, historiquement et constitutionnellement établis, pour les remplacer par des « mesures » vagues et indéterminées sans affectation précise des responsabilités en matière de conformité et de mise en œuvre.

Sur cette question cruciale, hélas, il est donné d’assister encore une fois à un banal rituel de la part de la communauté internationale. Tout le monde semblait d’accord sur le fait que des efforts supplémentaires et une stratégie étaient nécessaires pour remédier aux difficultés qui entravent encore les conditions de travail décent dans les chaînes d’approvisionnement. Cependant, les évènements se sont déroulés comme d’habitude lorsque des déclarations génériques de politiciens doivent se traduire en mesures concrètes : il y a eu plus de désaccord sur des aspects importants, plutôt que sur de simples détails. Ainsi il fut impossible de parvenir à un accord sur la question de savoir si les mesures doivent concerner des chaînes d’approvisionnement nationales et inclure les rôles spécifiques des Gouvernements, d’organisations d’employeurs et de travailleurs pour remédier aux insuffisances relevées dans les conditions de travail décent. En d’autres termes, les Employeurs ont refusé de prendre une quelconque responsabilité, même de principe. Les contradictions inhérentes au problème n’ont pas été traitées, à savoir, le fait que des firmes multinationales (FME), ou nationales, ont délibérément exploité l’opportunité de la sous-traitance pour s’affranchir de toute responsabilité. Au contraire, les Gouvernements et les partenaires sociaux ont choisi de différer la discussion, en reportant un potentiel consensus dans un futur lointain.

À ce stade, on est parvenu à ce que le Conseil d’administration de l’OIT adopte une sorte de processus décisionnel en deux étapes, seule voie consensuelle pour tenter de sortir de cette impasse. D’une part il a été demandé au Bureau de l’OIT de mener un examen complet d’ici novembre 2021 pour « déterminer avec précision s’il existe des lacunes dans le corpus actuel de mesures normatives et non normatives, y compris dans les moyens de mise en œuvre et d’autres mesures, en vue de faciliter une discussion sur les options à envisager pour garantir des conditions de travail décentes dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, notamment au niveau sectoriel, s’il y a lieu.»[ix]. L’état des lieux à mener et à partager avec les participants était supposé poser les fondations d’un examen ultérieur, par un autre groupe de travail tripartite. Il s’agit d’une procédure plutôt fastidieuse et sans engagement concret, mais qui pourrait néanmoins contribuer à maintenir le dialogue ouvert. D’autre part, dans le même temps, ce groupe de travail était supposé développer les « briques » d’une stratégie complète pour obtenir des conditions de travail décent dans les chaînes d’approvisionnement, en se fondant sur la Déclaration du centenaire de l’OIT pour l’avenir du travail de 2019, sur la démarche « One-ILO »[x] et sur les résultats pertinents potentiels de la 109è Session (2021) de la Conférence. Ces « briques » devaient être discutées au cours de la session du Conseil d’administration en mars 2022, en vue de décider d’une action de suivi appropriée. Jusqu’à cette date de mars 2022, l’accent devrait être mis sur la prise en compte de plusieurs facteurs qui ont un poids important dans la discussion sur les chaînes d’approvisionnement.

Depuis le début de la pandémie, la COVID-19 a eu de graves impacts sur les emplois dans les chaînes d’approvisionnement. Les risques encourus par les travailleurs en raison de la COVID‑19 incluaient la perte d’emploi et de revenus, ainsi que les risques de santé associés aux conditions de travail. Ces risques ont été multipliés dans certaines chaînes d’approvisionnement liées aux produits et services essentiels, de même que pour certains travailleurs, les migrants par exemple, les travailleurs de l’économie informelle et ceux qui ne bénéficient pas de protection sociale[xi]. En décembre 2020, plus de 190 millions d’emplois – représentant près d’un tiers de l’ensemble des emplois des chaînes d’approvisionnement manufacturières et environ huit pour cent de l’ensemble des emplois mondiaux – ont été fortement ou moyennement impactés par la baisse de la consommation. La perte d’emplois mondiale a atteint des sommets sans précédent. Le nombre d’emplois fortement impacté a encore plus augmenté à partir d’octobre 2020, lorsque de nombreux pays ont été touchés par une seconde vague[xii]. Malgré l’espoir apporté par des campagnes de vaccination à grande échelle, l’économie mondiale est toujours confrontée à des niveaux élevés d’incertitude basés sur les prévisions économiques du Fonds Monétaire International (FMI) à compter d’octobre 2020. En outre, la reprise pourrait intervenir de manière inégale, en maintenant, reproduisant ou aggravant les inégalités existantes, en particulier dans les secteurs durement touchés[xiii]. La COVID-19 a eu un fort impact sur le commerce international, à l’origine d’un fort déclin généralisé, toutefois moins prononcé dans les pays du Sud[xiv].


Effondrement du bâtiment Savar à Dhaka, le 24 avril 2013. Photo : Jaber Al Nahian, CC BY-SA 2.0

La plupart des entreprises clientes se situent encore aux Etats-Unis, dans l’UE et d’autres pays membres de l’OCDE, dans lesquels les gouvernements doivent promouvoir et appliquer les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales. Ceux-ci stipulent que les droits humains et les normes du travail fondamentales doivent être respectés dans tous les pays où interviennent ces entreprises[xv]. Les Principes directeurs de l’OCDE, basés sur les normes de l’OIT, sont des outils qui doivent être renforcés et utilisés précisément dans cette perspective de développement, par la réduction des inégalités et la quête de justice sociale. En réalité, des violations majeures des droits du travail se produisent souvent justement dans des succursales et filiales, mais, surtout, dans la sous-traitance (p.ex., la tragédie du Rana Plaza[xvi] ; mais il existe beaucoup d’autres cas, bien moins connus, mais tout aussi graves). Il n’est pas surprenant que le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits à la liberté d’assemblée et de réunion pacifiques ait averti, dans sa déclaration sur le COVID-19, que « le nombre de cas où les représentants du travail ont dû faire face à des représailles pour avoir dénoncé des situations dangereuses sur le lieu de travail, est particulièrement troublant »[xvii].

Sensibiliser aux droits des travailleurs et à leur protection est d’une importance primordiale pour soutenir et renforcer les syndicats. Ces derniers jouent également un rôle fondamental dans l’élimination des barrières que les travailleurs, en particulier les femmes, doivent surmonter pour accéder aux voies de recours efficaces afin de lutter contre les abus. L’OIT collabore avec l’OCDE pour remplir son rôle, collaboration qui a déjà produit des résultats concrets, y compris à travers la contribution tout à fait significative et à renforcer du TUAC (Trade Union Advisory Committee) (voir travail sur Rana Plaza). Des accords mondiaux entre les fédérations syndicales sectorielles et les sociétés multinationales doivent être également engagés.

La cartographie des activités des firmes multinationales (FMN) est de plus en plus complexe et importante. Les FMN, tout comme les autres sociétés doivent respecter la législation nationale, régionale et internationale. Les principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme demandent aux entreprises commerciales de conduire un « devoir de diligence » (due diligence) en matière de droits humains et, aux États, partenaires sociaux et autres acteurs, des efforts pour promouvoir ce devoir de diligence. Les principes directeurs sont volontaires, et les pratiques pour leur mise en œuvre varient beaucoup. Leur nature volontaire entraîne également un manque évident de responsabilisation. Le devoir de diligence en matière de droits humains est particulièrement important en ce qu’il rend la chaîne de sous-traitance ou d’approvisionnement transparente. Les instruments internationaux existants de devoir de diligence, y compris ceux relatifs à la responsabilité sociale des entreprises, ont failli en n’offrant pas la possibilité aux victimes des droits humains et d’impacts environnementaux de demander réparation en justice et de se voir proposer des voies de recours, du fait de leur nature volontaire et de leur caractère non judiciaire. Au contraire, les sociétés devraient être obligées de divulguer les noms de l’ensemble des sociétés impliquées dans la chaîne, ainsi que les chiffres des travailleurs employés, les conditions de travail, etc.

Pour assurer une mise en œuvre efficace des principes directeurs de l’OCDE et des normes de l’OIT, des règles et des normes communes de coopération sont nécessaires, comme la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail (1998), la Déclaration sur la justice sociale pour une mondialisation équitable (2008) et la Déclaration de l’OIT sur les FMN, qui ont émergé de négociations tripartites. La politique commerciale basée sur le libre-échange, qui baisse les salaires et dégrade les conditions de travail dans certains pays, doit être entièrement refondue. Même si la Déclaration de l’OIT sur les FMN ne revêt pas un caractère contraignant, elle constitue néanmoins un instrument important de par sa nature tripartite, sa portée internationale et du fait de l’importance des questions qu’elle traite, allant de la liberté syndicale et de l’engagement dans une négociation collective (la négociation collective et les relations entre partenaires sociaux étant pratiquement inexistantes au sein des chaînes d’approvisionnement mondiales), à d’autres domaines qui influent directement sur la vie des travailleurs et des communautés, tels que la promotion de l’emploi local, l’égalité des chances et de traitement, la non-discrimination, la formation, les conditions de travail, le respect des exigences liées à l’âge, les mécanismes de résolution des conflits, le droit à l’information et à la consultation, etc. Ce texte lie l’action législative aux relations entre partenaires sociaux et tient compte de l’impact social et environnemental des activités économiques.

Dans le débat à venir, le contexte de la pandémie pourrait également améliorer les résultats en matière de santé et de sécurité au travail dans les CAM, si on le voulait vraiment. Pour le centenaire de l’OIT, les travailleurs ont demandé d’inclure les normes relatives à la santé et à la sécurité au travail dans la liste des Principes et droits fondamentaux au travail qui pourraient être mis en œuvre sans avoir été préalablement ratifiés. Puisque le Groupe des Employeurs s’oppose à cette demande, le scénario apparaît comme un défi difficile à relever, d’autant plus dans un contexte mondial où une réponse forte doit être apportée pour mieux protéger la santé et la vie des travailleurs.

La technologie, y compris l’intelligence artificielle, la robotique, et les capteurs sont au centre de nombreux débats relatifs à l’avenir du travail, au sein de l’OIT et à l’extérieur. Les mécanismes de recherche pertinents n’ont pas encore permis aux parties prenantes de considérer à leur juste valeur ces sujets. L’accent doit absolument être mis sur le potentiel d’innovation technologique qui pourrait améliorer les conditions des travailleurs en ne se basant pas seulement sur l’utilisation des TI en tant que telles, mais également sur leurs conception, utilisation et objectifs appropriés. En ce qui concerne les CAM, le recours général à l’exploitation des données pourrait constituer un outil avantageux pour l’administration du travail afin d’identifier les secteurs à risque élevé et améliorer leurs systèmes d’inspection du travail. Les technologies numériques, comme les applis et les capteurs, pourraient faciliter pour les sociétés et les partenaires sociaux, la surveillance des conditions et de la conformité du travail dans les chaînes d’approvisionnement[xviii].

Grâce à cette approche multidimensionnelle, le mouvement syndical mondial dispose de l’opportunité unique de prendre l’initiative du débat et d’encourager une relation positive entre l’agenda pour le travail décent et un « Green New Deal » global, car la politique commerciale basée sur le libre-échange n’est pas soutenable ni pour les travailleurs ni pour la planète.

Les chaînes d’approvisionnement mondiales ne sont pas un phénomène lié aux problèmes de développement, aux relations Nord-Sud, ou aux relations entre les pays industrialisés et émergents, mais une question d’intérêt mondial qui exige des réponses politiques universellement reconnues, articulées d’une manière cohérente à différents niveaux pour réaffirmer la primauté du politique sur les multinationales, ainsi que sur les potentats économiques et financiers. Du fait de leur nature mondiale, ces phénomènes requièrent une coopération mondiale entre les pays, les groupes représentant les organisations et les organisations possédant un mandat international.

L’OIT et l’ensemble de la communauté internationale ne doivent pas laisser passer cette opportunité pour s’exprimer haut et fort et agir en conséquence, en donnant la priorité aux personnes les plus vulnérables de la société, qui sont exclues, réduites au silence, et exploitées. Cette question, remet inévitablement en jeu les trois principes établis que sont la justice sociale, la paix, et la démocratie.

Silvana Cappuccio, Département de Politique internationale, Confédération générale italienne du travail (CGIL), Italie 

[i] En 2008, l’OIT a adopté sa “ Déclaration sur la justice sociale pour une mondialisation équitable ”, dans laquelle elle souligne son rôle clé dans la promotion du progrès et de la justice sociale dans le contexte de la mondialisation, par l’intermédiaire de l’agenda pour le travail décent. L’agenda pour le travail décent est défini sur la base d’une approche intégrée et fondée sur le genre, s’appuyant sur quatre piliers : travail productif et librement choisi, droits au travail, protection sociale, et dialogue social.

[ii] L’OIT travaille par le biais de la Conférence internationale du travail et du Conseil d’administration, qui rassemblent les représentants des Gouvernements, des Employeurs, et des Travailleurs. Les normes internationales sur le travail et les politiques générales sont adoptées dans le cadre d’un processus de consensus tripartite.

[iii] Selon la proposition de directive de l’Union européenne : le terme « fournisseur » désigne toute entreprise qui fournit un produit, une partie de produit, ou un service à une autre entreprise, soit directement ou indirectement, dans le contexte d’une relation commerciale, et le terme « chaîne de valeur » désigne l’ensemble des activités, opérations, relations commerciales et chaînes d’investissement d’une entreprise, et inclut des entités avec lesquelles l’entreprise a une relation commerciale directe ou indirecte, en amont et en aval, et qui, soit, fournissent des produits, parties de produits ou services qui contribuent aux propres produits ou services de l’entreprise, ou reçoivent des produits ou services de l’entreprise. Voir https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2021-0073_FR.html

[iv] CNUCED, Chaînes de valeur mondiales et développement, 2013 https://worldinvestmentreport.unctad.org/wir2013/chapter-4-global-value-chains-and-development/

[v] Document de travail de l’OIT No.16, Relier les emplois des chaînes d’approvisionnement mondiales à la demande, Août 2016 https://www.ilo.org/global/research/publications/papers/WCMS_512514/lang–en/index.htm

[vi] Également connus sous le nom des trois groupes constitutifs de l’OIT https://www.ilo.org/global/about-the-ilo/who-we-are/tripartite-constituents/lang–fr/index.htm

[vii] 105è Session de la Conférence internationale sur le Travail, Résolution sur le travail décent dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, 2016 https://www.ilo.org/ilc/ILCSessions/previous-sessions/105/texts-adopted/WCMS_498352/lang–fr/index.htm

[viii] Déclaration du Centenaire de l’OIT, Juin 2019 https://www.ilo.org/global/about-the-ilo/mission-and-objectives/centenary-declaration/lang–fr/index.htm

[ix] ILO GB 341 Rapport de décision, Mars 2021 GB.341/INS/13/2/Décision : Décision sur la mise à jour du rapport de la Réunion technique relative à la réalisation d’un travail décent dans les chaînes d’approvisionnement mondiales (Genève, 25–28 Février 2020) (ilo.org)

[x] ILO GB 337 Rapport à mi-parcours sur la mise en œuvre du Programme d’action de l’OIT relative au travail décent dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, Octobre 2019 https://www.ilo.org/gb/GBSessions/GB337/ins/WCMS_722491/lang–fr/index.htm

[xi] Document de recherche de l’OIT, Les effets de la COVID-19 sur le commerce et les chaînes d’approvisionnement mondiales, Juin 2020 Document de recherche : Les effets de la COVID‑19 sur le commerce et les chaînes d’approvisionnement mondiales (ilo.org)

[xii] Rapport du Directeur général sur le Rapport de la Réunion technique relative à la réalisation d’un travail décent dans les chaînes d’approvisionnement mondiales (Genève, 25 – 28 Février 2020) https://www.ilo.org/gb/GBSessions/GB341/ins/WCMS_771751/lang–fr/index.htm

[xiii] Surveillance de l’OIT : Le COVID-19 et le monde du travail. Septième édition https://www.ilo.org/global/topics/coronavirus/impacts-and-responses/WCMS_767223/lang–fr/index.htm

[xiv] CNUCED, Statistiques et tendances principales du commerce international 2020 https://unctad.org/webflyer/key-statistics-and-trends-trade-policy-2020

[xv]   https://www.oecd.org/fr/gouvernementdentreprise/mne/

[xvi] https://cleanclothes.org/news/2021/commemorating-the-rana-plaza-anniversary-by-preventing-the-next-disaster

[xvii] https://www.ohchr.org/en/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=25788&LangID=E

[xviii] Commission mondiale de l’OIT sur l’avenir du travail, Œuvrer pour un avenir meilleur, 2019 https://www.ilo.org/global/publications/books/WCMS_662440/lang–fr/index.htm