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Cet article fait partie de notre série dédiée au 75ème anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.
Introduction
En 2020, 0,005% de la population totale française a effectué une transition de genre[1]. Ce qui ne représente qu’une personne sur 20’000. Cependant, les médias traitent régulièrement de la transidentité. C’est un sujet qui intéresse et clive.
Depuis les années 2015, la visibilité médiatique trans a explosé. Avec elle, un nombre infini d’histoires concernant les détransitions ont également émergé. La visibilité croissante de la transidentité a été accompagnée d’une réaction négative sous la forme d’un récit de « regret de changement de sexe[2]». L’idée d’une « explosion » de jeunes trans, accompagnées de son lot de regret et de détransitions, se retrouve fréquemment dans tous types de médias occidentaux.
Définitions
Détransition : processus d’arrêt d’une transition de genre par une personne qui se pensait transgenre.
Transgenre, trans : toute personne qui ne s’identifie pas avec le genre qui lui a été attribué à la naissance.
Homme transgenre : Un homme, mais qui a été assigné fille à la naissance.
Femme transgenre : Une femme, mais qui a été assignée garçon à la naissance.
Cisgenre : Toute personne qui s’identifie au genre qui lui a été attribué à la naissance. Contraire de transgenre.
Dysphorie de genre : Mal-être ressenti lors de la non-concordance entre le genre assigné à la naissance et le genre ressenti.
Homosexuel-le : Le genre et l'attirance sexuelle sont deux concepts séparés. Une personne homosexuelle est attirée sexuellement par une personne du même genre.
Entre 2015 et 2018, le sujet de la détransition a été mentionné plus de 50 fois dans les médias étasuniens et britanniques[3]. Par contraste, entre 2008 et 2018, 59 cas de détransition sur un corpus de 22’725 personnes transgenres ont été enregistrés par l’étude de Danker et al. ; ce qui représente 0,26% du corpus de l’étude[4]. On pourrait presque affirmer que chaque personne ayant détransitionné a eu droit à son article de journal.
Le 10 décembre 2023, Journée des « Droits de l’Homme », nous célébrerons le 75e anniversaire de la « Déclaration universelle des droits de l’Homme » (DUDH). L’âme de cette déclaration réside dans la protection des droits de toutes les personnes, « sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre nature[5]». Pourtant, selon le rapport de Transgender Europe (TGEU), les personnes trans en Europe sont confrontées à de la discrimination fondée sur leur identité de genre[6]. Cette discrimination limite gravement l’accès aux soins médicaux et crée des difficultés considérables dans les sphères de l’emploi, du logement et de l’éducation. De plus, elles sont exposées à un risque accru de violence et de harcèlement, que ce soit dans l’espace public ou privé. Les conclusions de ce rapport mettent en lumière de manière frappante le manque de protection accordée par la communauté internationale aux personnes trans, soulignant ainsi les obstacles significatifs auxquels elles font face pour exercer leurs droits et vivre leur vie sans discrimination.
La maltraitance médiatique fait partie de la discrimination que subissent les personnes trans. Un profond mécontentement se manifeste au sein de cette communauté vis-à-vis de leur représentation dans les médias. L’enquête présentée dans l’ouvrage « Sociologie de la transphobie » apporte des éclairages poignants, révélant que plus de 63,85 % des sondé-e-s jugent la représentation médiatique de la transidentité comme « pas du tout satisfaisante »[7]. Ces résultats mettent en lumière le désaccord profond des personnes trans quant à la manière dont elles sont médiatisées, soulignant le caractère non conforme de ces représentations à la réalité.
Cette maltraitance médiatique revêt une importance particulière, car les médias jouent un rôle central dans la diffusion d’informations liées à la transidentité. En raison du faible nombre de personnes connaissant personnellement une personne trans, leur présence dans les médias est souvent leur seule introduction à ce sujet de société.
Le 75e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) offre une occasion particulière d’examiner la représentation des personnes transgenres dans les médias, dans un esprit d’inclusion envers l’un des groupes oubliés par cette déclaration.
La visibilité transgenre au 21e siècle
L’engouement médiatique pour les détransitions s’inscrit dans un contexte plus large de visibilité accrue de la transidentité. En 2014, Laverne Cox est devenue la première femme ouvertement transgenre à faire la couverture du Time magazine sous le titre
« The Transgender Tipping Point[8]». Cette année-là, le magazine Rolling Stones l’a même qualifiée de la « plus grande année […] dans l’histoire transgenre[9]». Auparavant, les représentations médiatiques de la transidentité étaient rares, voire inexistantes[10]. En 2015, la médiatisation de la transition de Caitlyn Jenner, une célébrité étasunienne, apparait également comme un « jalon dans la visibilité des personnes transgenres[11]». Cette évolution de la visibilité trans touchera similairement le domaine de la fiction, notamment à travers des œuvres telles que Transparent, Sense 8 et Orange is the New Black. Le sociologue A. Alessandrin explique :
« Les figures trans sont partout. Dans les clips des chanteuses en vogue, dans des films à succès, dans la mode, les séries, les faits divers, en couverture des magazines et aujourd’hui au cœur des polémiques autour de la notion de genre [12]».
Cependant, une croissance de la représentation n’implique pas une meilleure représentation. Selon les sociologues A. Alessandrin & K. Espineira, la terminologie utilisée dans les médias est « systématiquement pathologisante et ignorante[13]». Le choix des mots est basé sur l’accessibilité du sujet par le grand public et non pas la bientraitance des sujets, ici les personnes trans. Les médias deviennent « pourvoyeurs de discours, théories et représentations transphobes[14]».
En fait, la croissance de la visibilité des personnes trans est corrélée avec une croissance de la violence transphobe. Alors, comme prédit par la célèbre maxime de M. Foucault : « la visibilité est un piège ». Être visible, c’est-à-dire, être exposé aux regards des autres peut impliquer une mise en danger ou une vulnérabilité́.
Vous l’aurez compris : malgré la représentation médiatique croissante de la transidentité, les conditions de vie des personnes trans ne s’améliorent pas. Ce triste constat est en partie dû au choix d’un angle médiatique particulier : la détransition. L’accent mis sur les détransitions cherche à instiguer la peur des transitions de genre. Il faudrait à tout prix mettre des barrières à l’accès aux soins transgenres, autrement, des milliers de personnes entameront une transition de genre pour ensuite la regretter…Néanmoins, en 2020, 0,001% de la population française a entrepris des mesures médicales de transition[15]. Ceci contraste avec la supposée « explosion de cas trans[16]» notamment mise en avant par la Radio Télévision Suisse Romande (RTS) dans l’émission intitulée : « Ils ont changé de sexe et ils regrettent » diffusée le 1er mars 2023. Tout au long de l’émission, les témoignages de « détransitionneurs » sont présentés. Un accent est mis sur la gravité de leur histoire. Cependant, il est essentiel de souligner que trois quarts des témoignages présentés sont ceux de personnes ayant exploré leur identité de genre sans recourir à aucune intervention médicale. Il s’agit de récits mettant en scène des individus qui ont simplement expérimenté, telles que des jeunes filles ayant tenté l’utilisation d’un prénom masculin pendant un certain temps avant de réaliser leur erreur. Ces expériences ne comprennent aucune intervention médicale, aucune prise d’hormones ni chirurgie. Il est frappant de noter qu’aucune intervention médicale, prise d’hormone ou chirurgie n’est entreprise ; mais ces histoires de détransition non-médicalisée sont mobilisées afin de limiter les transitions médicalisées.
D’autres contenus médiatiques choisissent de mettre en avant des statistiques alarmantes et abusives sur le nombre de détransitions. Par exemple, la journaliste Anne Lietti a écrit l’article « Trans, détrans: alertes pour un scandale annoncé », dans lequel elle affirme l’existence de 20% de détransition[17]. Dans l’opinion écrite publiée par le Le Temps le 6 octobre, Stéphane Mitchell évoque qu’il y aurait eu une augmentation de 4000% du nombre de consultations pour « changer de sexe » au Royaume-Uni[18]. Elle relate : « Des études indiquent que 60 à 90% des jeunes se questionnant sur leur identité de genre abandonnent toute idée de transition une fois adulte ». Aucune source n’est citée pour confirmer ces chiffres.
Les détransitions : état de fait
En réalité, le nombre exact de détransitions reste inconnu. Toutefois, les études disponibles présentent des résultats très variables, avec des estimations allant de moins de 1% à 13% de détransitions.
Une étude réalisée en 2022 par la revue scientifique britannique The Lancet révèle que 98% des adolescent-e-s continuent le processus de transition quatre ans après son initiation[19].
En 2019, une étude nommée « Detransition rates in a national UK Gender Identity Clinic » démontre que sur 3398 patient-e-s, 16 (0,47%) ont exprimé du regret ou ont détransitionné[20].
Dans une autre étude menée en 2021, Jack L. Turban présente que 13,1% des participant-e-s ont eu une expérience de détransition[21]. De ce sous-groupe de détransition, 82,5% ont mentionné des facteurs externes comme motivation de leur décision. Cette étude distingue deux types de détransitions : les « détransitions choisies », où les personnes reviennent en arrière par choix, reconnaissant une erreur initiale, et les « détransitions conditionnelles », où des contraintes externes les forcent à détransitionner. Sur les 13,1% de détransition, 15,9% étaient des « détransitions choisies », soit environ 2,08% de l’ensemble des participant-e-s.
Remettons l’église au milieu du village ; même si nous prenons le pourcentage le plus élevé, c’est-à-dire 13,1% de détransition, c’est 13,1% des 0,03% de la population transgenre en France[22]. Ainsi, soit le traitement médiatique est exagéré, soit il y a une intention politique sous-jacente visant à restreindre les transitions de genre de manière générale.
Conclusion
Il est impératif que nous regardions au-delà des récits sensationnels et des statistiques abusives qui obscurcissent la réalité vécue par les personnes transgenres. Dans l’écrasante majorité des cas, les soins trans, la prise d’hormones et les chirurgies sont décrits comme améliorant la santé mentale des personnes transgenres. Certain-e-s affirment même que ces soins leur ont sauvé la vie[23]. Néanmoins, certains médias choisissent de se concentrer sur le faible pourcentage de détransition.
De plus, les détransitions présentées dans les médias mélangent les détransitions choisies, circonstancielles, médicalisées et non-médicalisées. C’est-à-dire que des détransitions circonstancielles et non-médicalisées vont être mises en avant dans le but de freiner l’accès aux transitions médicalisées. Ceci ne respecte pas l’accès libre aux soins médicaux pourtant protégé par l’article 25 de la DUDH :
« (1) Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires […][24] ».
Il est temps de mettre en lumière la force positive des soins trans tout en condamnant fermement les pratiques médiatiques qui, par ignorance ou intention, portent atteinte aux droits fondamentaux des personnes transgenres.
Léon Salin est un activiste transgenre romand. Il lutte pour une meilleure représentation des personnes trans à travers les réseaux sociaux, notamment Instagram et TikTok (@salinleon). Président de Salin Association, il se rend dans les écoles, les entreprises et les institutions pour former sur les transidentités.
[1] Picard, H., & Jutant, S. (2022). Rapport relatif à la santé et aux parcours de soins des personnes trans. Inspection Générale des Affaires Sociales. [en ligne]. Récupéré à https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/284386.pdf
[2] Slothouber, V. (2020). (De)trans visibility: Moral panic in mainstream media reports on de/Retransition. European Journal of English Studies, 24(1), 89–99. doi:10.1080/13825577.2020.1730052, p. 90
[3] Id.
[4] Danker, S., Narayan, S. K., Bluebond-Langner, R., Schechter, L. S., & Berli, J. U. (2018). A survey study of surgeons’ experience with regret and/or reversal of gender- confirmation surgeries. Plastic and Reconstructive Surgery–Global Open, 6(8S), p. 189
[5] Assemblée générale des Nations unies, Déclaration universelle des droits de l’Homme, Paris, Nations Unies, 1948, Article 2
[6] Calderon-Cifuentes, P. A. (2021) Trans Discrimination in Europe. A TGEU analysis of the FRA LGBTI Survey 2019. TGEU. Disponible à https://tgeu.org/wp-content/uploads/2021/12/TGEU-trans-discrimination-report- 2021.pdf
[7] Alessandrin, A., & Espineira, K. (2015). Sociologie de la transphobie. Paris : Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, p. 99
[8] Fischer, M. (2019). Terrorizing Gender. Expanding Frontiers: Interdisciplinary Approaches to Studies of Women, Gender, and Sexuality, p. 1
[9] Id.
[10] Gillig, T. K., Rosenthal, E. L., Murphy, S. T., & Folb, K. L. (2018). More than a media moment: The influence of televised storylines on viewers’ attitudes toward transgender people and policies. Sex Roles: A Journal of Research, 78(7-8), 515– 527. https://doi.org/10.1007/s11199-017-0816-1, p. 515
[11] Gillig, T. K., Rosenthal, E. L., Murphy, S. T., & Folb, K. L. (2018), op. cit, p. 516
[12] Alessandrin, A. (2018). Sociologie des Transidentités. Paris : Le Cavalier Bleu, p. 11
[13] Espineira, K. (2014). La sexualité des sujets transgenres et transsexuels saisie par les médias. Hermès, La Revue, 69, p. 103
[14] Id.
[15] Picard, H., & Jutant, S. (2022). Rapport relatif à la santé et aux parcours de soins des personnes trans
[16] Losa & Pekmez. (2023). Ils ont changé de sexe et ils regrettent. Radio Télevision Suisse (RTS). 2:22. https://pages.rts.ch/emissions/temps-present/13693535-detransition-ils-ont-change- de-sexe-et-ils-regrettent-02-03-2023.html
[17] Lietti, A. (2021, 1er octobre). Trans, détrans: alertes pour un scandale annoncé. Bon pour la tête. https://bonpourlatete.com/actuel/trans-detrans-alertes-pour-un-scandale- annonce
[18] Mitchell, S. (2020, 6 octobre). Modification de l’indication du sexe facilité à l’état civil: il faut un débat public. Le Temps. https://www.letemps.ch/opinions/modification- lindication-sexe-facilite-letat-civil-faut-un-debat-public
[19] Van der Loos, M. A. T. C., Hannema, S. E., Klink, D. T., den Heijer, M., & Wiepjes, C. M. (2022). Continuation of gender-affirming hormones in transgender people starting puberty suppression in adolescence: a cohort study in the Netherlands. The Lancet Child & Adolescent Health, 6(12), 869–875. https://doi.org/10.1016/s2352- 4642(22)00254-1
[20] Davies, S. & McIntyre, S. & Rypma, C. (2019). Detransition rates in a national UK Gender Identity Clinic. 3rd biennal EPATH Conference Inside Matters. On Law, Ethics and Religion. Poster Session. [en ligne]. Récupéré à https://epath.eu/wp- content/uploads/2019/04/Boof-of-abstracts-EPATH2019.pdf
[21] Turban, J. L., Loo, S., Almazan, A. N., & Keuroghlian, A. S. (2021). Factors Leading to « Detransition » Among Transgender and Gender Diverse People in the United States. A Mixed-Methods Analysis, 8(4), 273-280. https://doi.org/10.1089/lgbt.2020.0437
[22] Picard, H., & Jutant, S. (2022). Rapport relatif à la santé et aux parcours de soins des personnes trans. Inspection Générale des Affaires Sociales. [en ligne]. Récupéré à https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/284386.pdf
[23] Wanta, S. B., Collin, L. J., Stepney, C. T., Inwards-Breland, D. J., Ahrens, K. R., & Tordoff, D. M. (2022). Mental health outcomes in transgender and nonbinary youths receiving gender-affirming care. JAMA Network Open, 5(2), e220978. https://doi.org/10.1001/jamanetworkopen.2022.0978
[24] Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), 1948, Nations Unies, p. 6
Cet article fait partie de notre série dédiée au 75ème anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.